Guerre des rubis à Montepuez

© DR
MRM détient la la concession d’exploitation de la mine de rubis depuis février 2012.

A Montepuez, le gisement de rubis le plus riche du monde, un général local empoche les bénéfices d’un partenariat entre la Grande-Bretagne et le Mozambique, pendant que les Forces spéciales locales l’aident à voler la terre. Et alors que le siège social de la multinationale répond avec soin aux questions et aux inquiétudes, le gouvernement du Mozambique se contente de faire de l’obstruction.

Il paraît que seuls des criminels étrangers, tanzaniens et somaliens, se sont attristés quand Antoninho, 18 ans, le fils de Geronimo Potia, a été abattu par des agents de sécurité qui patrouillaient dans la région où sa famille vit depuis des générations, au nord du Mozambique. Ces gardes surveillaient les ressources qui appartiennent légalement à Montepuez Ruby Mining (MRM), une coentreprise créée en 2011 par Gemfields en Grande-Bretagne et Mwiriti Limitada, société locale que des liens solides unissent au gouvernement du Mozambique.

Aux yeux de l’entreprise, du gouvernement et des hommes qui l’ont tué, Antoninho était un voleur, un criminel au même titre que les contrebandiers étrangers venus lui acheter ses pierres. Peu importait donc à MRM, qui détient la licence d’exploitation de la mine de rubis depuis février 2012, que le jeune homme ait extrait des pierres précieuses de son propre terrain, près du village où sa famille vit et travaille depuis des générations. Laissé agonisant sur le sol rouge de Namanhumbir le 19 avril 2015, son corps a été rapporté chez son père par ses amis acheteurs tanzaniens et somaliens. Ces mêmes contrebandiers ont aussi fait du porte à porte pour rassembler de quoi payer l’enterrement et soutenir la famille. «Sans eux, le corps de mon fils aurait été laissé là, nous n’aurions pas eu d’argent pour l’enterrer», se désespère Geronimo Potia, dans sa cabane de branchages et de torchis à Muaja, village proche de la zone minière de Namanhumbir.

Localisation de Montepuez et de Maputo, la capitale du Mozambique.

Ce même 19 avril 2015 où Antoninho est mort, d’autres mineurs sont allés annoncer à Artur Pacore que des hommes de la FIR (Força de Intervenção Rapida, la Force d’intervention rapide, section des Forces spéciales de l’armée) avaient abattu son fils, Manuel, d’une balle dans l’abdomen. «Ils ont dit qu’il s’était traîné hors du gisement de rubis et avait rampé sur une centaine de mètres. Puis il est mort».

Loin de là, à Londres, au siège social de MRM, on se déclare préoccupé par ces meurtres. Dans un long message, un porte-parole affirme que la compagnie aurait été informée de ces cas si les crimes avaient été commis à l’intérieur de ce qui est depuis 2012 la zone de la concession. Elle promet de mener une enquête approfondie. Dans les premières lignes de sa réponse, la compagnie confesse que chercher des rubis à Montepuez n’est tout simplement pas une bonne idée pour les particuliers: «Les mineurs artisanaux risquent leur vie en cherchant des pierres précieuses à la demande d’intermédiaires sans scrupules (et pour la plupart étrangers) qui gèrent un système de contrebande, ne s’acquittent pratiquement d’aucun impôt envers le gouvernement mozambicain, et s’enrichissent aux dépens de la population locale». MRM ajoute que «cette activité minière, qui relève de l’exploitation, est non réglementée, dangereuse et opaque». Par chance, conclut la compagnie, «elle tend à disparaître avec le temps, à mesure que commencent à prendre forme les avantages des méthodes d’extraction formalisée et les bienfaits qui leur sont associés».

Pourtant, ces avantages ne sont pas encore arrivés à Namanhumbir. Là-bas, tout est rouge. Le sol, l’essentiel de la végétation desséchée, dont on utilise les branches et les feuilles pour construire les cabanes, le bois, la poussière et les rubis. Le meurtre d’Antoninho Geronimo n’a jamais été signalé à la police mais, selon nos sources au sein du ministère de la Justice du Mozambique, dix-huit personnes ont été fusillées et laissées pour mortes pour avoir exploité les richesses de leur sol et, parfois. Les cas sont dénombrés depuis 2009, date à laquelle les riches gisements de rubis ont été découverts dans la province de Montepuez.

mozambique rubis ZAM mozambique rubis ZAM
A Montepuez, se trouve le gisement de rubis le plus riche du monde. © Estacio Valoi

Les premiers meurtres échappent donc à la responsabilité de MRM, qui n’a reçu sa concession qu’en février 2012. Ces assassinats relèvent du gouvernement mozambicain, qui a lancé en juillet 2009 la première opération policière contre les mineurs illégaux, peu après avoir pris connaissance de l’existence de richesses dans cette région. Reste qu’Antoninho et Manuel sont morts en 2015, trois ans après que «les avantages de l’extraction formalisée» étaient censés prendre forme. Les Potia et les Pacore ne sont que deux des 1’500 familles, soit au total environ neuf mille personnes dont la vie a changé du tout au tout avec l’apparition de l’exploitation minière officielle.

A part les mines et l’agriculture, la région n’offre guère d’autres sources de revenus. Pendant de nombreuses années (il est difficile de déterminer combien, puisque cette activité était informelle), les mineurs artisanaux tiraient de leur sol le camada, un sable mêlé de rubis; ils le tamisaient et vendaient les pierres brutes aux commerçants étrangers. Depuis 2009, année durant laquelle on a découvert en Thaïlande des pierres qui provenaient de Montepuez, divers groupes paramilitaires empêchent désormais la population locale d’avoir accès aux ressources naturelles de ses terres.

mozambique rubis ZAM mozambique rubis ZAM
La mine est l'une des seules sources de revenus pour les habitants de Namanhumbir. © Estacio Valoi

Peu après le meurtre d’Antoninho et de Manuel, la FIR a été remplacée par la National Resources Protection Force, autre branche des Forces spéciales de l’armée mozambicaine. Est également présente la force de protection de la police mozambicaine, elle aussi accusée de protéger les intérêts de MRM plutôt que les habitants du pays. Il y a aussi la sécurité privée de MRM que la population locale appelle Nacatanas, «les hommes à la machette». Officiellement, il s’agit d’une équipe de 470 hommes employés par la société de sécurité ARKHE. Ils ne sont armés que de bâtons, mais sont malgré tout accusés d’avoir commis un meurtre.

Le procureur en chef du district de Montepuez, Pompilio Xavier Wazamguia, dit avoir connaissance de quatre cas résolus de fusillade et de coups ayant entraîné la mort dans la zone exploitée par MRM. Il apparaît que trois d’entre eux, des agents de la Força de Intervenção Rapida, ont été condamnés; le quatrième, un garde de sécurité de l’ARKHE, a été acquitté faute de preuves (Le Tribunal a conclu que la victime, le mineur illégal Carlos Calisto, a effectivement été tué, mais l’arme utilisée ne constituait pas une preuve concluante à l’encontre du garde de la sécurité). Wazamguia ajoute que son ministère continue à enquêter sur onze autres cas, liés à des allégations de meurtres de mineurs illégaux perpétrés par les forces de sécurité.

Le ministre de l’Intérieur, en charge des forces spéciales du gouvernement mozambicain comme la Força de Intervenção Rapida, s’est refusé à tout commentaire. De Londres, le principal actionnaire de MRM, Gemfields, déclare que les forces du gouvernement sont sur leur terrain «pour faire respecter la loi du sol et pour protéger les intérêts nationaux du pays»; qu’elles ne sont pas dirigées par MRM; qu’aucun employé fourni à MRM par ARKHE n’a fait l’objet d’une condamnation et que «ni Montepuez Ruby Mining Limitada ni ses cadres, son personnel ou ses agents contractuels ne pratiquent la violence ou l’intimidation à l’encontre de la communauté locale».

L’entreprise Gemfields présente ses activités dans la mine de Montepuez au Mozambique.

Les habitants de Namanhumbir, en revanche, signalent qu’ils ne sont pas libres de leurs mouvements, au risque d’être frappés ou même détroussés. Dans un rapport de juillet 2015, l’organisation écologiste locale AMA dresse cette liste des griefs des villageois: «Les Nacatanas et les forces de défense nous empêchent de nous déplacer. Nous ne pouvons emprunter la route qui mène au poste administratif [la mairie] parce qu’ils nous confisquent notre argent et les biens que nous transportons. Quand nous allons couper du bois ou du bambou, ils nous en empêchent en disant que nous sommes des mineurs illégaux. Quand nous sommes malades, nous sommes confrontés au problème de ne pouvoir emprunter la route de la clinique». Le porte-parole de MRM a tenu à préciser que les Nacatanas n’ont aucun lien avec sa société.

L’activité minière avait officiellement pour but de développer Namanhumbir. En 2011, Gemfields, leader mondial des pierres précieuses, qui détient la licence commerciale des célèbres œufs de Fabergé, s’est associé avec plusieurs membres puissants du Frelimo, le parti au pouvoir au Mozambique, pour former la nouvelle compagnie minière locale, MRM. Samora Machel Junior, fils du premier président mozambicain, préside le conseil d’administration. Son directeur, Raime Pachinuapa, est le fils de Raimondo Pachinuapa, ex-chef de la guérilla lorsque le Frelimo combattait pour secouer le joug colonial portugais.

En novembre 2011, MRM a acquis une concession exclusive de prospection et d’exploitation minière pour 25 ans. Depuis, son activité a rapporté à Gemfields, actionnaire à 75%, plus de 122 millions de dollars de revenus (près de 120 millions de francs), rien qu’en ventes aux enchères, soit une moyenne de 40 millions de dollars par an (environ 39 millions de francs). Une manne de plus de 10 millions de dollars par an (soit 9,8 millions de francs) pour le partenaire mozambicain.

mozambique rubis ZAM mozambique rubis ZAM
Pendant de nombreuses années, les mineurs artisanaux tiraient de leur sol le camada, un sable mêlé de rubis. © Estacio Valoi

Les deux associés avaient promis aux villageois de Namanhumbir que l’activité minière serait bonne pour eux. Les représentants de MRM avaient même organisé une réunion pour expliquer aux habitants des villages de la région – Mpene, Nseue, Nkoloto, Namucho, Ntoro et Nanune – que Gemfields gérerait un programme de Responsabilité sociale d’entreprise (RSE), qui devait inclure un centre de santé, des installations sportives, une école, un marché et deux puits. Il devait aussi y avoir des créations d’emplois. Elément le plus important pour les mineurs locaux, le versant mozambicain du partenariat promettait qu’ils seraient autorisés à poursuivre leur propre activité d’exploitation. Ils formeraient des associations qui vendraient leurs pierres à MRM, ce qui serait pour eux une véritable source de revenus.

Mais les choses ne se sont pas exactement passées comme ça. Premièrement, le problème était que personne ne semblait savoir que faire des commerçants et contrebandiers étrangers. Depuis des années, ils achetaient les rubis trouvés par les villageois. Mais ce commerce était informel et, maintenant qu’une concession avait été accordée, il devenait illégal.

Le nombre de contrebandiers augmenta encore quand le monde découvrit l’existence de cet immense gisement de rubis. Les acheteurs affluent désormais par milliers de Somalie, de Tanzanie, du Congo, de Thaïlande, du Zimbabwe, d’Ouganda et d’Afrique de l’ouest. Dans leur sillage est arrivée toute une industrie de travailleuses du sexe. «Des femmes du Sénégal, du Malawi, de Tanzanie», précise l’administrateur du district, Arcanjo Cassia, qui s’inquiète des conséquences sanitaires et de l’impact sur les femmes autochtones. «Une jeune fille préfère suivre un homme qui lui promet un téléphone portable plutôt que d’aller à l’école. Le SIDA progresse dans la région, c’est pourquoi nous faisons de la prévention au travers de conférences». Cassia estime ne pas pouvoir faire plus.

Le centre de santé que promettait la compagnie n’a toujours pas vu le jour. Pas plus que les puits, le marché, les installations sportives ou l’école. Interrogé à ce sujet, Cassia secoue la tête et se lamente: «Nous n’obtenons rien. Rien!» Dans son rapport annuel, Gemfields, l’actionnaire majoritaire britannique de MRM, affirme avoir bel et bien construit un marché et une école, mais selon Cassia, tout ce que la compagnie a fait, c’est de mettre «une nouvelle couche de peinture» sur un vieux bâtiment de l’époque coloniale portugaise. En réponse aux questions, MRM soutient avoir «réhabilité» l’école.

Arcanjo Cassia reconnaît cependant l’existence d’un projet spécifique: la distribution de poulets d’élevage aux communautés locales. En novembre 2015, 1’900 poussins offerts par MRM ont été remis à sept communautés, en présence de Cassia. Mais en parcourant les villages pendant plusieurs mois, également après novembre, nous n’avons trouvé trace des poulets. Selon la rumeur, le projet a fini dans les poches de l’administratrice de Namanhumbir, Anastasia Clemente. MRM conteste néanmoins cette version: «Parler de pots-de-vin pour Madame Clemente est une accusation infondée mais caractéristique de la désinformation que propagent ceux que menace la présence de MRM dans l’industrie mozambicaine du rubis, pour tenter de déstabiliser la compagnie et lui donner mauvaise réputation aux yeux de la communauté et des médias.»

MRM ajoute que tous les projets sont encore à l’ordre du jour, mais qu’«à ce stade d’évaluation des ressources, la plupart des entreprises préfèreraient attendre l’achèvement de leur projet minier de grande ampleur avant de se lancer dans ce genre de programme». La société réaffirme cependant que la responsabilité sociale est sa «priorité numéro un» et que ce programme «grandira en proportion avec ses activités».

Officiellement, MRM ne combat que des criminels «étrangers». «Nous travaillons avec le gouvernement mozambicain pour lutter contre les ressortissants étrangers qui franchissent les frontières du Mozambique afin de profiter du gisement de Montepuez», a soutenu le directeur de Gemfields, Ian Harebottle, en décembre 2014. L’administratrice de Namanhumbir, Anastasia Clemente, en disait autant en 2012, dans une interview publiée sur un site mozambicain d’information: «Les étrangers prospectent et sèment la confusion parmi nous, ces étrangers sont à l’origine de toute l’agitation qu’il y a dans la région».

La population locale a pourtant le sentiment d’être considérée, elle aussi, comme criminelle. Premièrement, les permis d’exploitation artisanale qui avaient été promis ne se sont jamais matérialisés. Dans la même interview de 2012, Anastasia Clemente en accusait les mineurs eux-mêmes, car «ils n’ont jamais formé d’associations». En réponse à nos questions, MRM a cependant affirmé n’avoir jamais fait cette promesse parce que «la loi en vigueur au Mozambique interdit le commerce des rubis par d’autres que les citoyens mozambicains», ce qui signifie que MRM, entreprise majoritairement étrangère, ne serait pas en mesure d’acheter les pierres, de toute façon.

Deuxièmement, les habitants de la région accusent l’entreprise d’expropriation forcée. Plusieurs villageois racontent que leurs maisons et leurs champs ont été incendiés, et que des gens ont été roués de coups à Namucho, le 15 septembre 2014. «Ils commencent à creuser, ils découvrent des rubis, alors la compagnie vient et dit que la zone lui appartient», raconte un villageois. Un autre à Ntoro abonde: «La compagnie achète nos maisons et prend nos champs. Ils nous frappent et nous tirent dessus. Chaque fois qu’ils découvrent une nouvelle zone où il y a des rubis, ils nous en chassent». Cette «technique du brûlis» a conduit les habitants des zones ravagées à rebaptiser Namanhumbir: ce n’est plus el dorado, «le doré», mais el dobrado, «l’endroit qui s’est écroulé».

mozambique rubis ZAM mozambique rubis ZAM
Récoltes dans un village au Mozambique. © Marcos Villalta

Là encore, MRM et son actionnaire majoritaire, Gemfields, nient avoir connaissance de ces pratiques ou être impliqués. Ils rejettent la responsabilité sur «des personnes non autorisées […] désireuses de récupérer des rubis», qui pénètrent dans la concession MRM et établissent «des implantations informelles et non autorisées». De plus, «MRM n’a ni décidé ni géré l’élimination de ces implantations», mais «la police cherchera peut-être» à le faire «une fois dûment informée». MRM affirme être au courant d’un incident survenu en 2014 «en périphérie du village de Ntoro», lorsqu’une bagarre a éclaté entre villageois et mineurs illégaux (étrangers), lors de laquelle l’un des deux groupes a mis le feu à un certain nombre de structures».

A noter que quatre villages bien réels, Namucho, Ntoro, Nseue et M’pene, se situent à l’intérieur de la concession MRM. Or, selon un rapport du cabinet britannique d’expert-conseil à l’industrie minière et métallifère à travers le monde SRK Consulting rédigé pour Gemfields en janvier 2015, ceux-ci doivent être déménagés: dans ce document, SRK recommande un Plan d’action de réinstallation (PAR) «pour déplacer la population locale résidant dans la zone de concession minière ou à proximité». Le rapport ne dit pas vers où, mais les autochtones ont entendu parler de «maisons modèles» à bâtir dans la région sèche de Nanune, assez loin de chez eux.

L’organisation environnementale AMA (Amis de l’environnement, en portugais) estime que ce plan affecte 440 familles, soit au total près de 2’000 personnes. Elles devraient déjà avoir été relocalisées, mais beaucoup refusent de partir: «La terre est sèche, et que vont devenir les arbres fruitiers que nous avons là où nous vivons à présent?» Les villageois de Nseue situé non loin d’un lac de barrage plein de poissons sont tout aussi déterminés à rester: «Nous ne quitterons pas cette terre, dit l’un d’eux. Nous sommes nés ici, et nos ancêtres aussi. C’est notre richesse».

Fait remarquable, la résistance des communautés a fini par avoir un impact sur l’opération minière. Fin 2015, l’actionnaire majoritaire Gemfields nous a assuré que «toute relocalisation à venir ne concernera sans doute que le village de Ntoro». En attendant, les mineurs artisanaux refusent encore de quitter les régions revendiquées par MRM. En campant sur leurs positions, ils affrontent un danger bien supérieur à celui que présentent les hommes armés de mitraillettes. Les foreuses de MRM, disent-ils, se contentent d’avancer, qu’il y ait des êtres humains dans les parages ou non.

mozambique rubis ZAM mozambique rubis ZAM
Les mineurs refusent de quitter les régions revendiquées par MRM. © Estacio Valoi

Un mineur local, prénommé Abdul, a ainsi perdu son cousin. «Il travaillait avec deux autres, dans un trou de trois mètres de profondeur. Ils avaient déjà rempli un sac de camada, ce sable mêlé de fragments de rubis. Ils étaient à une centaine de mètres de nous, ils travaillaient encore quand je suis rentré à la maison avec d’autres. On s’est cachés en entendant arriver les machines. Après un moment, on est repartis les chercher. Et on a vu les machines qui rebouchaient le trou au-dessus d’eux». 

Pour MRM, le cousin d’Abdul pourrait être l’un des mineurs illégaux enterrés dans l’effondrement de leur propre forage. «Parce que les mineurs illégaux ne veulent pas que l’on comble leurs trous, ils accusent MRM dès que l’un d’eux est enseveli dans ses propres galeries, dans l’espoir que la compagnie arrêtera de combler les trous creusés illégalement», avance l’une des porte-parole de MRM qui affirme que les mineurs succombent à des «méthodes d’exploitation incorrectes». De nombreux articles de journalistes locaux attestent pourtant que des gens meurent régulièrement à Namanhumbir: enterrés ou déchiquetés par les machines, tués par les gardes de sécurités, les glissements de terrain et les accidents de forage, ou lors de bagarres avec des criminels.

Le procureur en chef du district de Montepuez, Pompilio Xavier Wazamguia, reconnaît que certaines communautés sont déplacées de force et que des mineurs artisanaux ont été chassés de leurs terres. «Il y en a qui n’ont plus ni champ ni maison ni revenu», regrette-t-il. L’administrateur du gouvernement provincial, Arcanjo Cassia, confirme avec le même découragement les nombreux décès survenus dans la région. «Nous avons créé un comité de travail. Il s’est déjà rendu sur les sites d’exploitation minière et collabore avec les forces de sécurité».

Désormais, des centaines de mineurs artisanaux ont trop peur pour continuer à travailler dans la concession MRM. Ils sont maintenant à la recherche de grenats bien moins précieux, à Nkata, à une demi-heure de là. Pour y arriver, il faut prendre un moto-taxi et traverser les hautes herbes. On ne distingue pas grand-chose à travers la poussière, seuls les klaxons vous protègent d’une collision frontale avec un autre moto-taxi arrivant en sens inverse. Là encore, il semble que les officiels payés par l’Etat mozambicain sont ici pour rendre la vie plus difficile. Au lieu de régler la circulation et de veiller à la sécurité, la Police de préservation de l’environnement contrôle un barrage routier à l’entrée de Nkata. Les policiers exigent 2 dollars par personne en guise de droit de passage.

Le travail des rubis issus de la mine de Montepuez, illustré par le GIA, institut de gémologie américain.

Dans Nkata, au crépuscule, on croise des centaines d’hommes couverts de poussière rouge, qui s’en reviennent de leur travail dans les gisements de grenats, la pioche sur l’épaule. Beaucoup s’asseyent pour boire un verre de tentação, un whisky artisanal peu coûteux, tandis que, sur des étals, des marchandes remuent de grandes marmites de riz, de poisson et de bouillie. De tous côtés, des haut-parleurs diffusent une musique assourdissante. Le site couvre plus de 150 mètres carrés, criblé de trous d’une profondeur comprise entre trois et quatorze mètres.

Issufo est ici depuis plus de trois mois. «Je ne trouve pas suffisamment de pierres pour me faire un peu d’argent, dit l’ouvrier. J’ai cinq enfants et rien à leur rapporter». Il ne compte cependant pas retourner à Nkoloto, près de Namanhumbir, d’où il est originaire. «Je cherchais des rubis dans un trou quand la FIR est arrivée. Ils m’ont dit d’en sortir. Une fois dehors, je me suis pris une balle, dans la jambe». C’était en juillet 2014. La blessure a eu le temps de guérir, mais l’impact est encore visible sur sa jambe droite: celui d’entrée et celui de sortie. Dans les archives MRM, on trouve un incident similaire: «Apparemment, alors que la FIR dispersait un groupe hostile de mineurs illégaux, l’un de ces derniers a reçu une balle dans la jambe tirée par un membre de la FIR».

Comment, dans ces conditions, Issufo et les autres habitants de Montepuez pourront-ils à nouveau gagner leur vie? MRM affirme que 800 emplois ont été créés dans une zone où auparavant «il n’y en avait aucun». Or, de tous les villageois que nous avons interviewés, aucun n’a d’emploi officiel. On ne trouve pas non plus la moindre trace d’offres d’emploi dans les médias locaux ou dans les services administratifs. Par contre, des plaintes contre le chef local de Nseue, Horacio Terencio, qui s’enrichit en vendant à MRM de la main d’œuvre bon marché, ont été déposées. Lors d’une récente assemblée communautaire, Terencio a été pris à partie par des villageois en colère: comment peut-il ainsi jouer les courtiers, en empochant à chaque fois une commission substantielle, au lieu de défendre les intérêts de la communauté? Autant de questions et de griefs qui n’ont eu aucune incidence sur Terencio qui poursuit ses activités.

mozambique rubis ZAM mozambique rubis ZAM
Le village de Nkata, au Mozambique. ©  Joe Pyrek

En théorie, l’état de droit règne au Mozambique. Depuis 2014, une nouvelle loi sur les mines (n° 20/2014) cherche à protéger les intérêts nationaux par des dispositions fiscales et prescrit que les communautés doivent bénéficier des avantages de l’exploitation minière. Elle impose aussi une compensation équitable dans les cas où des ressortissants doivent être déplacés, et accorde des droits de forage aux particuliers. Mais jusqu’ici, cette loi est inopérante: la formulation de la section sur les droits de forage ne concerne toujours que ceux qui sont déjà riches et ont les moyens de procéder à une activité minière massive. Elle ne stipule pas quel pourcentage des bénéfices doit être servir au bien de la communauté et n’aborde pas les droits des citoyens à un gagne-pain et à une terre.

Comment cette nouvelle loi pourrait-elle être appliquée alors que les accords et cadres juridiques existants sont bafoués à Montepuez? Le meurtre, la violence et l’incendie volontaire sont depuis toujours illégaux, mais l’administrateur provincial, l’administrateur local et le procureur en chef du district, pour ne citer qu’eux, semblent totalement impuissants à les endiguer. De nombreux rapports évoquent aussi la collaboration de policiers, entre autres, avec les réseaux d’achat illégal, pour faciliter le vol et la contrebande.

Les militants locaux de l’organisation AMA avouent avoir renoncé à discuter avec MRM. «Jusqu’ici, la compagnie ne manifeste aucune intention d’établir des liens avec les représentants de la société civile, affirme Tomas Langa, coordinateur exécutif d’AMA. Nous devons en revanche renforcer les communautés pour qu’elles puissent défendre leurs intérêts, face à la société et au gouvernement». Dans ce but, AMA pense devoir procéder à «des interventions pour fournir [aux villageois] des mécanismes de plaidoyer et d’expertise concernant la Responsabilité sociale d’entreprise qui devrait faire partie des activités de Montepuez Ruby Mining». La compensation pour l’expropriation des fermes et des terres et la redistribution d’avantages économiques liées à l’exploitation minière devraient également faire partie de ces activités, selon Langa.

mozambique rubis ZAM mozambique rubis ZAM
A Montepuez, les mineurs artisanaux risquent leur vie en cherchant des pierres précieuses. © Estacio Valoi

Dans un bar de Pemba, peu après avoir quitté Montepuez, un homme s’assied à côté de nous, un verre de whisky à la main. Estacio Valoi le connaît vaguement, c’est un avocat de la région. «Les gens de la région minière m’ont demandé de vos nouvelles», nous dit-il. L’un d’eux, «le général» comme le surnomme l’avocat, semble être le général Raimundo Pachinuapa en personne, membre du conseil d’administration de MRM. «Ceux qui travaillent pour le général gagnent beaucoup d’argent, il est très généreux. Peu lui importe que la compagnie fonctionne bien ou mal, il y a beaucoup d’argent pour ses amis», nous assure-t-il.

Quant aux questions adressées au ministre mozambicain de l’Environnement, Pedro Couto, et au ministre des Mines, Celso Correia, elles sont restées sans réponse.

Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet d’Enquêtes transnationales, lancé par l’African Investigative Publishing Collective (AIPC), en coopération avec ZAM, aux Pays-Bas.