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La famille Meyer (au centre) et Barbara Guggenheim (assise à sa gauche) en 1889, probablement à New York.© Nassau County Museum

L’origine suisse de la famille Guggenheim

De New York à Bilbao, sans oublier Venise, le nom des Guggenheim brille au firmament universel de l’art. Mais qui connaît les origines helvétiques de ceux qui vécurent dans le ghetto de Lengnau (canton d’Argovie) avant de devenir les magnats du cuivre, des mécènes et philanthropes?

Nous sommes en 1836, à Lengnau, la seule localité de Suisse, avec Endingen, où les Juifs ont le droit de résider depuis 1776. Un petit garçon marche sur la route, entre la Bodenstrasse et la Vogelsangstrasse, sa main dans celle de son père. Meyer Guggenheim a six ans et sa mère, Charlotte – appelée plus familièrement Schäfeli, le diminutif allemand de Charlotte – Levinger vient d’être transférée dans un hôpital spécialisé, à Königsfelden, pour «fatigue nerveuse». Dans son registre, la commune écrira moins subtilement «dérangée de la tête». Cette maman est fragile. En 1832, elle a donné le jour à son sixième enfant, Zierle.

En dépit de son jeune âge, Meyer est conscient du fardeau qui repose sur les épaules de son père Simon. Il sait que celui-ci réussit de plus en plus difficilement à concilier son métier de tailleur et ses responsabilités familiales. La commune juive de Lengnau paie déjà les vêtements, chaussures et frais médicaux de ses enfants ce que Simon considère comme une humiliation. Cet homme de né en 1792 voudrait tant que Schäfeli guérisse rapidement et qu’elle retrouve sa place au sein du foyer. Ainsi seraient-ils tous ensemble, comme avant. Or, le temps passe sans que la santé de Schäfeli ne s’améliore. Les autorités se décident à placer le père de famille sous tutelle. Quant aux six enfants, ils se retrouvent dispersés au sein de familles plus ou moins apparentées de Lengnau. Peut-être Simon songe-t-il que ces temps difficiles seront éphémères. Mais l’hospitalisation de Schäfeli se prolonge. Elle a quarante-quatre ans lorsqu’elle décède après deux ans d’internement. Elle sera enterrée au cimetière de Lengnau, et non pas sur la petite île du Rhin tout proche, la dénommée «île des Juifs» où, jusqu’en 1750, les Juifs de la région devaient enterrer leurs morts. Faute de mieux.

A cette époque-là, cette région du canton d’Argovie, la vallée fluviale du Surbtal, était en quelque sortie «la patrie des Juifs» et même «le berceau du judaïsme» de Suisse. Car en haut lieu, des esprits avaient décidé de les confiner à Endingen et Lengnau, deux petits villages intégrés au comté de Baden, un pays sujet de la Confédération administré par un bailli fédéral. La vie des Guggenheim aurait pu y être insouciante et heureuse entre collines verdoyantes, prairies et vergers. Mais elle fut sans cesse ponctuée de mesquineries où l’on rappelle aux Juifs qu’ils ne sont pas égaux aux chrétiens, majoritaires dans la région. Par exemple, les Juifs n’ont-ils pas l’obligation, après avoir commercé à la Foire de Zurzach, à une dizaine de kilomètres de Lengnau, de revenir y dormir? Et ne devaient-ils pas payer un impôt d’établissement renouvelable tous les seize ans? Autant dire que le havre du Surbtal demeurait aléatoire. Meyer apprit très tôt que la judéité comportait son lot de servitudes. A Lengnau, il vit que les maisons comportaient deux portes, une pour les chrétiens et l’autre pour les Juifs. Le jeune garçon ne fut sans doute pas le seul à s’interroger sur la raison de cette discrimination imposée par la majorité.

Quelques décennies avant sa naissance, Lengnau comptait trois cent nonante-six Juifs (dont vingt-huit Guggenheim) et quatre cent cinquante-trois chrétiens. Les hommes travaillaient en tant que commerçants, boulangers, fromagers, cordonniers et marchands de bétail alors que les femmes, comme partout en Suisse alémanique, étaient confinées au fameux KKK (Kinder, Kirche, Küche). Les jours, les mois, les années passent entre petits boulots, promenades sur les chemins forestiers et vexations. Si la vie, dans le «ghetto» était ardue, elle n’était en rien comparable à celle qu’enduraient les Juifs dans les pays d’Europe orientale. Disposant de leur propre boulangerie, de leur boucherie kasher et d’une école, les Juifs de Lengnau avaient le droit de gérer eux-mêmes leurs affaires internes. Il leur incombait de résoudre les questions liées à la scolarité, à la pauvreté, aux problèmes familiaux ainsi qu’à l’instruction religieuse. Ils n’en étaient pas moins soumis à une multitude de restrictions, de redevances, de taxes et d’impôts (sur la fortune, de protection pour un droit de séjour limité, pour des sauf-conduits, pour des patentes commerciales temporaires...) qui remplissaient les caisses du bailli et des délégués de la Diète. Meyer n’était qu’un adolescent quand il dut apprendre qu’aux treizième et quatorzième siècles, les Juifs de Suisse vivaient généralement dans de grandes villes, mais qu’aux seizième et dix-septième siècles, ils en furent expulsés parce qu’on les soupçonnait de crimes rituels sur des enfants chrétiens ou d’empoisonnement des puits. Ou bien cachait-on cette triste réalité aux petits Juifs de Suisse. Toujours est-il que ceux qui résistaient aux ordres étaient tout simplement exécutés par les autorités séculières religieuses.

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