Hamel Ramadan Hamel Ramadan
Tariq Ramadan s'exprimant lors d'une manifestation culturelle à Buenos Aires en septembre 2017. © Romina Santarelli / Ministerio de Cultura de la Nación

Retour aux sources du Nil (2/5)

Dans ce chapitre de «Tariq Ramadan, une imposture» (Flammarion), Ian Hamel a enquêté sur les qualifications théologiques revendiquées par Tariq Ramadan, et les liens qu’il a pu y tisser avec des figures importantes de la gauche française pendant son séjour en Egypte.

A la fin des années 1980, Tariq Ramadan est surtout perçu comme un militant tiers-mondiste. En 1988, avec trois amis, il crée Coopération Coup de main, une association pour la promotion de la «pédagogie de la solidarité». Elle organise des voyages en Afrique, au Brésil, en Inde, pour des jeunes de 15 à 18 ans. Le fils de Saïd Ramadan affirme qu'il a aussi œuvré avec ATD Quart Monde, Médecins sans frontières et Terre des hommes. Il ne cesse d'énumérer toute les personnalités qu'il aurait alors côtoyées: l'évêque catholique brésilien Hélder Câmara, l'ancien président du Burkina Faso, le capitaine Thomas Sankara. «Sur ma route il y avait l'abbé Pierre, le père Guy Gilbert, sœur Emmanuelle ou Mère Teresa: il y avait également Edmond Kaiser, Albert Jacquard, Hubert Reeves, Jean Ziegler ou René Dumont et tant et tant d'autres», décline-t-il, sans préciser ni où ni dans quelles circonstances. Une façon de rappeler qu'il a toujours coopéré «avec des chrétiens et des humanistes agnostiques ou athées». Il explique également qu'à l'époque de la guerre du Golfe, il se trouvait en Inde avec de jeunes étudiants. «Nous venions de passer quelques jours avec le dalaï-lama. Je n'oublierai jamais ces moments.» Un ancien proche de Tariq Ramadan se souvient d'une réunion avec les autorités de la ville de Genève. «En cinq minutes, Tariq a réussi à placer dans la conversation toutes les personnalités mondialement connues qu'il avait croisées dans sa vie!» raconte-t-il, amusé. Quitte à en rajouter? La journaliste Claude B. Levenson, aujourd'hui disparue, spécialiste du Tibet, auteur du Dalaï-lama, naissance d'un destin, émettait quelques doutes sur l'intensité des liens qu'aurait pu nouer le petit-fils d'Hassan al-Banna avec le guide des bouddhistes tibétains. «Ce dernier reçoit un très grand nombre de visiteurs chaque année, ceux-ci n'en deviennent pas pour autant des intimes du dalaï-lama», me confiait-elle. Une habitude que le prédicateur n'a jamais perdue. «Tariq Ramadan cite d'un seul trait les grands de ce monde avec qui il devise désormais», constatait en 2006 Marc Roche, alors correspondant du Monde à Londres, avant d'ajouter que le désormais résident britannique «n'a pas encore été gagné par l'humour anglais, moqueur envers soi-même.»

Même constat de la part de Caroline Fourest (Frère Tariq. Discours, stratégie et méthode de Tariq Ramadan), «les rencontres sont parfois brèves, mais elles vont lui servir longtemps. Tariq Ramadan ne manque jamais une occasion de parler de ses rencontres, pourtant furtives, afin d'achever son portrait de parfait globe-trotter tiers-mondiste à la façon sociale-chrétienne.» Quitte à en faire un peu trop concernant ses liens avec les catholiques et les protestants progressistes? Il assure ainsi que Pierre Dufresne, l'ancien rédacteur en chef du quotidien Le Courrier à Genève, un catholique engagé pour les droits de l'homme, l'a accompagné dans sa formation intellectuelle. «C'est quelqu'un qui m'a énormément marqué [...] C'était un ami», assure-t-il. Dans un autre ouvrage, parlant de Pierre Dufresne, «un homme qui m'a changé», Tariq Ramadan raconte: «Nous sommes allés loin dans le débat et nous nous sommes engagés ensemble dans des luttes communes.» Certes, le fils de Saïd Ramadan connaît Pierre Dufresne (il en parle au sein du Foyer culturel musulman), mais ce n'est pas pour autant un intime. L'un des proches de Pierre Dufresne (aujourd'hui décédé) met sérieusement en doute cette grande proximité entre le journaliste et le prédicateur. «Pierre Dufresne me recevait fréquemment chez lui. Je n'y ai jamais croisé Ramadan, et Pierre n'a jamais prononcé son nom devant moi», se souvient-il. A cette époque, le professeur de français se présente comme un militant de gauche. «Le Parti socialiste genevois et les écologistes m'ont proposé de venir chez eux. J'ai longtemps hésité», confie-t-il. Il assure qu'il a toujours voté à gauche, «y compris pour le parti socialiste». Il sympathise avec l'un des Suisses les plus connus à l'étranger, le sociologue Jean Ziegler, auteur de La Suisse lave plus blanc, et à cette époque conseiller national (député) socialiste. «Si j'ai été élu et réélu député socialiste, c'est grâce entre autres à des militants comme Tariq et son frère Bilal. Ils étaient d'une grande efficacité en période électorale pour coller les affiches, pour mobiliser les camarades», m'avait confirmé Jean Ziegler. Marié autrefois à une Egyptienne, le sociologue a également fréquenté Saïd Ramadan. Encore aujourd'hui, Jean Ziegler, âgé de 85 ans, apporte toujours un soutien indéfectible à Tariq Ramadan. Il a signé en septembre 2018 une lettre ouverte au président de la Confédération pour l'inviter à intercéder en faveur du prédicateur auprès d'Emmanuel Macron. Lettre ouverte également signée par son épouse, Erica Ziegler, ancienne dirigeante du Parti du travail (l'équivalent du Parti communiste à Genève). En 2005, dans la revue Socialisme international, le petit-fils d'Hassan al-Banna, qui ne fréquentait pas encore les palaces de Doha, assurait que l'on avait enterré Karl Marx trop vite, et que «le matérialisme historique» est quelque chose «qu'il ne faut absolument pas disqualifier».

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