La lettre du directeur du pĂ©nitencier est arrivĂ©e trois jours avant NoĂ«l. En automne 2016, j’avais Ă©crit Ă une prison de moyenne sĂ©curitĂ© en Arizona pour demander un entretien avec le dĂ©tenu du nom de Hamid Hayat. Il purgeait une peine de 24 ans de rĂ©clusion après avoir Ă©tĂ© condamnĂ© le 10 septembre 2007 pour avoir reçu un entraĂ®nement terroriste au Pakistan. MĂŞme si Hamid avait fait les gros titres de la presse internationale au moment de son arrestation pour appartenance Ă une prĂ©tendue «cellule dormante» d’Al-QaĂŻda Ă Lodi, une ville de la Californie rurale, il n’avait encore jamais parlĂ© Ă un journaliste. Les entretiens en prison ne sont pas inhabituels. GĂ©nĂ©ralement, le journaliste remplit un formulaire et convient avec l’établissement d’une date et d’une heure. L’avocat de Hayat et sa famille m’avaient assurĂ©e qu’il Ă©tait un prisonnier modèle, j’étais donc optimiste. J’ai rempli les formulaires adĂ©quats au mois d’octobre. Un mois plus tard, la prison fĂ©dĂ©rale m’a demandĂ© une attestation de The Intercept, qui lui a Ă©tĂ© transmise. DĂ©but dĂ©cembre, un employĂ© de la prison m’a indiquĂ© qu’ils Ă©taient en train «d’éclaircir un dernier point». Mais le 22 dĂ©cembre, le directeur du pĂ©nitencier a rejetĂ© ma demande en prĂ©textant des «raisons de sĂ©curitĂ© et des considĂ©rations de bonne gestion». Le directeur a refusĂ© de me parler, et il n’existe ici aucun processus d’appel.Â
Bloquée par la prison, j’ai transmis à l’avocat de Hayat une liste de questions détaillées sur le dossier et la vie actuelle de son client. J’avais vu Hamid uniquement sur les vidéos des interrogatoires du FBI – vieilles de dix ans, toute une vie. Quand j’ai reçu ses réponses et les photographies récemment prises en prison, j’ai été surprise. Le jeune homme mince et timide, aux épaules basses et à la longue barbe, avait disparu. La place était occupée par un homme musculeux, queue de cheval et lunettes de soleil, le regard fixant froidement l’objectif. Hamid ne m’a pas détaillé les conditions de sa détention, si ce n’est qu’il avait peu de contact avec le monde extérieur – une visite par année, de sa famille – et que son père se voyait dénier la permission de le voir depuis huit ans. Son temps au téléphone, lui aussi, était limité en comparaison de celui de ses codétenus. Même si ces restrictions l’énervaient clairement, Hamid m’a répondu que la prison, de façon étrange, lui avait ouvert des perspectives en le mettant pour la première fois en contact avec des gens dont la foi et le parcours étaient différents. De l’extérieur, son enfance, passée entre la Californie et le Pakistan, paraissait riche. En réalité, il a grandi confiné dans une communauté de Pakistanais ruraux, fermement attachés à leurs traditions religieuses et à leur culture conservatrice, qu’ils restent dans leur village ancestral ou traversent le monde vers Lodi ou Londres. «J’étais simplement dans ma communauté, et je ne savais vraiment pas grand-chose sur ce qui se passait autour de moi, écrit-il. Je regarde en arrière presque tous les jours, et je me dis que j’aurais aimé rencontrer plus de gens, là -dehors.» Sa fréquentation d’autres détenus l’a rendu honteux de certaines opinions avec lesquelles il a grandi. Adolescent, il avait fêté la nouvelle de l’enlèvement, puis de la décapitation par des terroristes pakistanais du journaliste du Wall Street Journal Daniel Pearl. Parmi les conversations enregistrées produites par l’accusation lors du procès, le jury avait entendu Hamid déclarer joyeusement à l'informateur du FBI: «Ils l’ont tué. Je suis content. Ils l’ont coupé en morceaux et les ont renvoyés. Ils ont fait du bon boulot. Maintenant, ils ne vont plus envoyer un seul Juif au Pakistan.» En prison, s’il est resté un fervent musulman, Hamid a maintenant une vision plus ouverte de sa foi et de celle des autres, et s’est lié d’amitié avec des détenus chrétiens et juifs. «J’avais tort de dire ce que j’ai dit, reconnaît Hamid au sujet de Pearl. Je ne suis pas du tout d’accord avec moi-même. Je ne connaissais pas grand-chose, à cette époque-là . J’étais vraiment peu ouvert d’esprit sur un tas de choses.»