Une mystification chinoise (1/3)

© Ben Cheung
Habitations populaires dans le quartier de Quarry Bay, Hong Kong.

Je venais de publier un essai d’histoire politique sur la colonie britannique, qui revenait à la Chine communiste après plus d’un siècle et demi de domination. Le diagnostic que je posais sur son avenir n’était pas très optimiste, car je pensais qu’elle n’avait pas le destin de s’ouvrir au monde libre. Tout portait à croire que Hong Kong resterait à jamais une île sous influence.

Depuis plusieurs jours, il pleuvait sans perspective d’éclaircie sur le port aux parfums et ses cent cinquante ans de colonialisme triomphant. Les pêcheurs chinois qui l’habitaient au début de son histoire l’auraient ainsi nommée pour l’abondance de sa flore odorante, mais ces poètes ont depuis longtemps disparu. Remplacés par les enfants de Deng Xiaoping, le culte de la finance ne s’accommodait plus d’une spiritualité ancestrale et vertueuse.

En 1995, un éditeur parisien m’avait sollicité pour étudier l’histoire de ce territoire où le capitalisme s’était imposé dans un contexte hostile. «Essayez de comprendre le dessous des cartes, m’avait-il expressément recommandé.» Pour l’écrire, je m’étais donc appuyé sur les sources les plus autorisées, des témoignages édifiants et des interviews contradictoires aux plus hauts niveaux de responsabilité, économique et politique. Jusqu’aux confidences du dernier gouverneur de Sa Majesté, qui m’avait subtilement distillé ses avis officiels et murmuré ses doutes dans l’antichambre du départ. En charge du retour de la colonie dans le giron de la République populaire de Chine, sir Chris Patten m’offrira pour preuve de bonne intelligence réciproque, le drapeau de Hong Kong qui ornait son écritoire. Il campe fièrement sur mon bureau depuis vingt ans. Après un travail de longue haleine, je remis mon manuscrit aux éditions du Félin qui le publièrent quelques mois avant les cérémonies de rétrocession que j’allais commenter pour la télévision. Cette perspective me réjouissait, bien qu’elle me rendît fébrile durant de longues semaines, jusqu’à la prise d’antenne. Lorsqu’il sortit de presses, il triompha des disputes inhérentes aux débats contradictoires et son succès me rassura sur mon analyse critique. Car contrairement à mes confrères, il proposait une vision d’avenir qui contrastait avec l’ivresse ambiante de l’Occident qui prenait ses désirs pour des réalités. Or si la Chine se prêtait au mensonge pour mieux égarer notre naïveté, elle orchestrait un discours libéral pour éviter de parler des libertés.

Durant le printemps 1997, je participai à de nombreuses conférences; je donnai d’innombrables interviews et pris part à des dîners-débats pour nourrir l’évènement. Et chaque fois que l’on m’interrogeait sur mes soupçons, je m’excusais de jeter un pavé dans la marre des certitudes. J’assénai souvent cette formule que l’on n’aimait pas entendre, parce qu’elle contrariait les plans tirés sur la comète par des industriels et des banquiers avides de se partager le gâteau promis par Deng Xiaoping: à savoir que la géopolitique s’affranchit des aspirations économiques et financières. L’ouvrage eut plusieurs rééditions et lorsque je m’envolai pour Hong Kong, le 30 juin 1997, je maîtrisais assez bien la question du retour sous la tutelle chinoise de la dernière colonie britannique.

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