La potence et la rédemption

© Noël Aeby
Toujours propriété de la ville, les bâtiments de l’ancien Hôpital des Bourgeois qui a fermé en 1973 ont été restaurés entre 1984 et 1985 et abritent aujourd’hui divers bureaux de l’administration urbaine, ainsi que la Bibliothèque de la ville.

Hôpital des Bourgeois de Fribourg dans les années 1970. Ses patients ont été transférés depuis plusieurs mois dans le nouvel hôpital cantonal. Le vénérable bâtiment est abandonné, vide. Le photographe Noël Aeby saisit les traces de cette ancienne vie. Quant à l'écrivain, Gérard Jaeger, il se souvient...

Le lit était en fer et grinçait abominablement. Un équipement précaire, comme on en voit dans les vieux films d’après-guerre, constitué d’un chevet branlant et d’une chaise écaillée dont les copeaux de peinture tombaient sur le linoléum, meublait sommairement la chambre. Je me souviens qu’elle était grande et très vide. Il n’y avait rien sur les murs délavés, à part l'ombre portée d'un crucifix qui me faisait peur et qui se distordait, inquisiteur ou grotesque selon l’heure et la lumière qui filtrait à travers les persiennes closes. J’avais la jambe droite immobilisée dans un plâtre, qu’une potence suspendait au-dessus du drap. Une broche d’acier me traversait le talon et me torturait à chaque respiration, et la vue de cet instrument m'évoquait un supplice médiéval dans cet environnement glauque et inamical. J’étais au bord de la nausée. Un poids de fonte se balançait au moindre de mes mouvements, comme un métronome entêtant. J'allais devenir fou si l'on ne m'expliquait pas ce que je faisais dans cet austère hôpital aux allures d'hospice abandonné. Aucun visage familier n'était encore venu me rassurer. M’expliquer que j'allais me réveiller, que c'était un mauvais rêve aux portes closes, aux fenêtres obturées. Me dire que j’étais vivant et que j’en sortirais un jour. Tout était si flou dans ma pauvre tête! Aucun bruit ne me parvenait du couloir. Je me sentais seul au monde alors que j'avais la vie devant moi… Lorsque la porte s’ouvrit enfin.

Il neigeait abondamment dans le portillon de départ. De gros flocons se collaient aux lunettes qu’il fallait essuyer sans cesse pour distinguer la pente au dénivelé devenu très incertain. Je ne voyais pas au-delà du troisième piquet de slalom: un rouge, un bleu… un rouge, et puis plus rien; juste un paysage cotonneux que nivelait une épaisse couche de poudreuse. Je n’étais pas le premier concurrent à m’élancer, mais après chaque passage, les traces s’effaçaient pour tromper les repères si soigneusement mémorisés. Je pensais au fartage que j’avais décidé d’appliquer en catastrophe sous la semelle de mes Strato; j’avais toute confiance en mes skis, des Rossignol en fibre de verre de compétition que mes parents venaient de m’offrir, les mêmes que ceux de Jean-Claude Killy. Pour le reste, j’aviserais. 

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