Les avions survolent la ville à basse altitude. Les bombes explosent les unes après les autres, faisant vibrer l’air et trembler les bâtiments. Une épaisse fumée noire s’élève de la rive orientale du Tigre… A quelques centaines de mètres de là, Layla Salih, en équilibre sur un amas de gravats, contemple en silence ce spectacle macabre. Puis, sans prêter attention aux soldats qui insistent pour l’escorter, elle se dirige vers l’entrée du site. Trébuchant entre les colonnes et les chapiteaux effondrés sous ses pieds, elle passe sous une dernière arche, miraculeusement intacte, allume la lampe torche de son téléphone et descend lentement une volée de marches branlantes, à moitié enfouies sous les éboulis. La lumière vacillante révèle ce qui ressemble à la crypte d’un lieu saint. Le faisceau s’arrête sur des silhouettes de femmes, délicatement sculptées sur l’un des murs.
Des larmes de joie coulent sur le visage de l’ancienne responsable du département du Patrimoine de la province de Ninive. «Je suis au septième ciel. Je n’aurais jamais pensé dire cela un jour, mais sans Daech (l’acronyme arabe du groupe Etat islamique), je n’aurais jamais pu découvrir cet endroit», murmure, émue, l’archéologue qui a renoncé à sa vie privée pour une carrière dédiée à la préservation de la culture et de l’identité irakiennes contre l'organisation terroriste Etat islamique (EI).
En juin 2014, les combattants de l'EI entraient dans Mossoul et s’y livraient à des actes d’une brutalité sauvage. L’héritage archéologique de ce lieu considéré comme le berceau de la civilisation occidentale n’a pas été épargné. Daech a mené une lutte sans merci contre toute représentation religieuse qui ne reflétait pas sa version radicale de l’islam, saccageant tout sur son passage. En arrivant au pied de cet escalier, Layla vient de pénétrer dans les décombres de la mosquée du prophète Nabi Younès, construite au XIVe siècle à l’emplacement d’une ancienne église chrétienne. Avant sa démolition par l'EI, le site avait été vénéré pendant des siècles, à la fois par les musulmans et par les chrétiens, qui croyaient que le prophète Nabi Younès (le Jonas de la Bible) y était enterré.