La «corsaire des îles d'Or»

© Mathilde Rives

A l'époque de la Renaissance, Magdelaine de Sade, fille adultérine d'un Médicis, s’installe à 27 ans à Marseille avec un but: faire fortune dans l'armement et entrer dans la légende en aidant François Ier, le roi de France. La mer Méditerranée sera son champ de bataille pour contrer les attaques des puissances étrangères.

«Dominer, commander... pour m'enrichir à ma guise!» Telle avait été la profession de foi lancée à la canto­nade par Magdelaine Lartessuti le jour de ses dix ans! Petite fille curieuse et délurée, elle naquit en Avignon vers 1478, sur les bords du Rhône qui bercera sa vie de conquérante. Comme le grand fleuve, souvent impétueux, Magdelaine était faite pour épancher ses ambitions dans la toute-puis­sante Méditerranée de Barberousse et de François Ier, de Soliman le Magnifique et de Charles Quint

Fille adultérine de Thore de Médicis et de Pons Lartessuti, Ambassadeur d'Avignon, Magdelaine côtoya durant son enfance le luxe, la culture et la distinction des familles les plus en vue de son siècle: la noblesse de robe et d'épée, les rois et même le pape ont ainsi fait partie de sa vie sans qu'elle prît conscience de son privilège. Pourtant, bien que son destin fût tracé dès sa naissance, elle rompit un jour avec la pompe cardinalice et les ors des palais pour noircir seule, envers et contre toutes les contradictions de ses ambitions, les pages blanches de son livre d'heures. Car elle pensait que le talent, le courage et l'ambition suffisaient au bonheur. Ainsi, malgré les exhortations à la raison prodi­guées par son entourage, Magdelaine ne chercha pas à profiter du nom prestigieux qu'elle portait pour se prévaloir ou se distinguer, se placer dans le monde ou faire fortune aux dépens des honnêtes gens. Bien qu'elle fût une Médicis, au même titre que les célèbres Catherine et Marie, elle entreprit de faire carrière dans un domaine parfaitement étranger à son milieu, réservé, secret, dans lequel aucune femme de sa naissance ne s'était jamais illustrée comme elle seule entendait de le faire: la mer, ses navires et son cortège d'aventures l'appelaient à d'autres destinées. Elle serait armateur, amirale et corsaire! Telle fut son vœu dès qu'elle eut l'âge de raison, telle sera sa fierté à l'heure de rendre compte de ses actes.

Au mois de février 1492, tandis que la chrétienté réticente hésitait à s'abandonner aux spéculations géographiques d'un navigateur encore inconnu, Pons Lartessuti mariait sa fille Magdelaine à Joachim de Sade, riche préten­dant, bel homme certes, pourvu des qualités de son rang très probablement, mais trop vieux et bien trop ennuyeux pour une jeune fille de quatorze ans qui rêvait de voyages au long cours! Pourtant, toute impatience bue, elle consentit quelque temps à s'instruire auprès de son mari: elle prit le pouls de ses affaires et tenta de s'enthousiasmer pour tout ce qui la distrayait de ses avanies conjugales, car le vieil homme ne fut jamais en mesure de la combler ni de comprendre la secrète ambition qui la consumait d'impatience. «Jamais il n'a deviné ses raisons de vivre», écrit Pierre Lyautey sur la foi des archives du Palais des papes découvertes en 1925. 

En 1503, le conclave élisait le cardinal Giuliano Della Rovere au trône de saint Pierre sous le nom de Jules II. Magdelaine et son mari, qui s'honoraient de son amitié, furent appelés dans la Ville éternelle pour célébrer l'événe­ment. Aussitôt installés à la cour pontificale, la jeune épouse délaissée fit la connaissance du neveu du pape, Galeo Della Rovere, cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens. Fort attiré par la beauté juvénile de l'Avignonnaise, le jeune homme se montra vite le plus empressé des soupi­rants, mais ses ardeurs illicites ne suffirent pas plus à la distraire qu'à la détourner de son projet.
– L'ennui me gagne, confiait-elle secrètement à ses amies, et je crains de perdre la vie si le destin m'abandonne. 

Comme elle s'était lassée de la compagnie surannée des Grands de ce monde, elle s'éloigna de son amant pour se réfugier dans la lecture: les récits de voyages qui lui parve­naient d'Espagne et du Portugal occupèrent bientôt toute son attention, et sa propre envie de courir l'univers la détacha des préoccupations de la Cour qu'elle jugeait futiles et frivoles. Ce n'était pas qu'elle eût perdu le goût de l'existence, mais elle cherchait d'abord une raison de vivre. Elle partit alors pour le nord de la France, où l'on prétendait que les femmes étaient libres. Mais Paris ne lui convint guère et ses pas la ramenèrent bientôt sur ses terres de Provence. Bien des années passèrent et Magdelaine cherchait vainement à concrétiser ses ambitions: une façon d'être heureuse en somme, qui lui appartiendrait enfin. Elle avait un peu moins de vingt-sept ans lorsqu'elle décida, un beau jour de 1505, de s'installer à Marseille où résidaient quelques-uns de ses parents. Bien qu'elle demeurât l'épouse légitime de Joachim de Sade, elle ne le reverra plus qu'à sa mort, en 1539, au terme d'un procès mesquin relatif à des questions financières.
– C'est ici que je vais dominer mon destin, s'exclama la jeune femme à son arrivée dans la cité phocéenne! Le Rhône qui m'a vue naître m'offrira désormais la mer en partage...

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