L’exil silencieux des disciples de Jean-Baptiste

© Sebastian Castelier

Avant 2003 et la guerre d'Irak, l'immense majorité des mandéens vivaient le long du Tigre et de l'Euphrate. La plupart se sont depuis dispersés en Iran, en Syrie et dans les pays occidentaux. En Jordanie, une minorité d'entre eux tentent de perpétuer leurs rites ancestraux sur les rives mêmes du fleuve dans lequel leur prophète, Jean-Baptiste, a baptisé Jésus.

Sur les routes sinueuses de la vallée du Jourdain, un bus jaune s’approche à toute allure. Coup de Klaxon, brusque arrêt, la porte s’ouvre. Un bras se tend, je m’agrippe. Le battant à peine refermé, le convoi redémarre. Nous nous retrouvons debout, cramponnés à la barre centrale. Vingt-cinq paires d'yeux nous fixent; quelques timides sourires s'esquissent. Naïvement, nous nous attendions à ce que tous les passagers soient vêtus de blanc. Sans doute se changeront-ils plus tard. Dehors défilent les champs d’oliviers et les fermes piscicoles. Après quelques virages serrés, nous nous arrêtons devant l’une d’elles. Dans la précipitation, nous n’avions pas remarqué qu’un second bus suivait de près. «C’est par là!» lance un jeune homme à la peau tannée. A flanc de colline, la troupe s’élance sur la pente douce d’un chemin de terre couleur safran, bordé par un ruisseau qui s’écoule d’une terrasse à l’autre, emportant les nénuphars dans son sillage. Les palmiers et orangers qui poussent ici et là tranchent avec l’aridité dorée des montagnes. Tout le long du sentier se succèdent de petites cabanes en bambous jaunis, destinées à siroter un thé en admirant la vue. Mais l’heure n’est pas à la rêverie: les rayons du soleil frappent à la verticale. Il faut rejoindre l’étang vert pâle au bord duquel va se dérouler la cérémonie. De la cinquantaine d'hommes, de femmes et d'enfants au teint ivoire et aux cheveux noirs, ils sont treize à se faire baptiser ce dimanche-là, dans la chaleur suffocante du printemps jordanien. Nous sommes impatients de voir si, comme nous l’avons lu, les mandéens reproduisent à l’identique la cérémonie du baptême de Jésus par Jean-Baptiste dans le Jourdain, telle que décrite dans l'évangile selon Matthieu. Ce rite, appelé maṣbuta en araméen, occupe une place particulière dans leur religion, car c’est par l’eau que la vie est créée et par ce sacrement que le pratiquant est purifié. «Normalement, ils ne peuvent se baptiser que dans de l’eau vive, d’où leur installation historique à proximité du Tigre et de l’Euphrate, en Irak, développe Claire Lefort, anthropologue française qui s'intéresse à la question de l'appartenance religieuse dans les parcours migratoires. Mais l’exil les contraint souvent à s’adapter aux décisions gouvernementales et aux réalités climatiques. En Jordanie par exemple, l’accès au fleuve leur étant interdit, ils se contentent d’eau stagnante.» 

Pour l’heure, les croyants se vêtent à la hâte de l’al rasta, le vêtement blanc traditionnel de la cérémonie baptismale, composé d’une longue chemise, d’un pantalon, d’une ceinture de laine, d’un turban et d’un foulard torsadé qui symbolise l’équité entre tous. Une fois habillés, les dévots semblent tout droit sortis d’un tableau biblique décoloré. Nous nous installons à l’ombre, sur des chaises blanches en plastique tandis que dans l’air, les effluves d’encens se dissipent pour purifier les corps et les esprits. D’un coup, le silence se fait. Le chef religieux, le tarmida Nethan Kremdi al-Sabbahi, arrivé spécialement d’Irak pour conduire la liturgie, ouvre le Ginza Rabba («Le trésor», parfois appelé «Le livre d'Adam»), l'oeuvre majeure de la religion mandéenne écrite entre le VIIe et le VIIIe siècle en araméen. Dans ce dialecte, qui serait celui parlé par le Christ, «manda» signifie «la connaissance». Avec sa barbe argentée ondulée, son turban noué et son ouvrage abîmé, le charismatique homme de Dieu ressemble à la représentation imagée d’Abraham. Mimant ses paroles, les fidèles récitent à trois reprises une prière, bras tendus vers le ciel, bagues en feuilles de myrte tressées autour du doigt. Un bâton de bois en guise de sceptre à la main, le vieil homme pénètre dans le bassin stagnant, accueillant les prétendants au baptême, les uns après les autres. Kasim al-Sabti* est l'un des premiers à être béni. Pieds nus, le timoré quadragénaire s’aventure entre les roseaux et autres plantes aquatiques. Le patriarche débonnaire lui tend la main et l'accueille en riant. Avec son air farceur, il transforme la solennité de l'événement en légèreté. Le baptisé au regard cendré, lui, semble concentré. Les extrémités de son foulard caressent la mare tiède. Le rituel est immuable: le tarmida lui asperge d’abord le visage, le maintient immergé quelques secondes avant de lui donner à boire directement dans sa main. Chacun de ces gestes est répété à trois reprises. Puis, l’homme au sceptre lui enlève la bague en feuilles de myrte du doigt et la glisse sous sa coiffe, le bénit et l’invite à rejoindre la rive d’une vigoureuse tape sur l’épaule. 

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