Les cavaliers de la frontière

© Yann Renoult
Les karwanji se rendent en Iran en suivant des chemins tortueux à flanc de montagne.

A Zale, dans les montagnes du Kurdistan irakien, les habitants vivent au rythme des passeurs iraniens et de leurs mules qui transportent pneus, casseroles, alcool, essence, appareils électroniques, antennes satellites..., toute marchandise interdite ou introuvable au pays des mollahs.

Il est 10 heures. Les cimes enneigées des monts Zagros, la plus haute chaîne d'Irak, étincellent comme les cristaux d'un lustre sous le ciel azur de février. Dans un fracas de sabots, de hennissements et de vociférations, des cavaliers de tous âges vêtus du traditionnel pantalon bouffant en toile marron ou kaki, le chalwar, dévalent à bride abattue l'unique route de Zale. Ce petit village de 300 âmes, autrefois refuge et base des peshmerga qui luttaient contre le régime de Saddam Hussein, semble pris d'une frénésie qui donne le vertige. Bien que perché à plus de 2'000 mètres, ce n'est pas l'effet de l'altitude. Ni du froid piquant de l’hiver kurde. C'est l'heure du chargement. Des piles de pneus emballés, des ballots, des caisses attendent dans la boue poisseuse mêlée de neige et de glace. Cahiers à la main, les intermédiaires aboient et désignent du doigt les marchandises qui doivent être emportées. Personne ne traîne. La frontière iranienne, à deux pas, ferme à 14 heures.

Au milieu de cet apparent chaos, je peine à trouver ma place. Je finis par me réfugier sur un talus en pente où le flux et le reflux des hommes et des bêtes y sont moins confus. Au loin, je distingue, minuscules, des mules en file indienne sur les versants escarpés de la vallée qui se dirigent vers les bâtiments du poste-frontière. Physiquement, la frontière entre l'Irak et l'Iran se situe bien avant, indiquée par une simple borne en pierre en amont d'un petit pont enjambant un cours d'eau. Lointain souvenir d’un accord signé en 1639 entre l'Empire ottoman qui occupait alors l'Irak, et l'Empire perse, qui deviendra l’Iran. De l’autre côté, c’est le Rojhelat, une région étroitement surveillée par Téhéran où environ sept millions de personnes, kurdes elles aussi, vivent dans une extrême précarité. Je l’observe depuis le Bashur en Irak où la situation n'est guère meilleure malgré la création du gouvernement régional du Kurdistan, entité autonome au sein de l'Etat irakien. Et je me dis que mes hôtes, ce peuple sans Etat luttant tant bien que mal pour sa survie dans quatre pays différents, sont les grands perdants des brassages politiques successifs. Quoi qu’il arrive, quoi qu’ils fassent, quelles que soient les promesses qui leur sont faites, ils restent séparés par des frontières matérialisées par des avant-postes militaires, minoritaires, infériorisés, réprimés et asphyxiés économiquement là où ils vivent.

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