L’histoire d’une balle perdue

© Olivier Weber
Un poste de combattants dans le nord de l’Irak. Les Kurdes ont un proverbe: «Nous avons les montagnes pour seuls amis». On pourrait y ajouter la kalachnikov.

A l'aube d'une nuit de cauchemars, le souvenir de cette balle qui était tout sauf égarée m'est brutalement revenu. Cette balle, c’est celle qui tue les Kurdes, qui brise leurs espoirs, qui balaie les soifs de liberté.

Le voyage avait pourtant bien commencé en ce jour d’été. Des conciliabules interminables autour du chai, le thé inévitable au Moyen-Orient, et de longues équipées en voiture dans les montagnes à la frontière iranienne puis dans la plaine, au nord de Bagdad. Le Kurdistan irakien, cette enclave qui transpire le mythe de Sisyphe à force de clamer sa volonté d’indépendance, étire ses vastes et nouvelles frontières, quasiment hermétiques, sauf au nord: monticules de terre, barrières de sable, chaînes de béton, promontoires sur la ligne de front.

En chalwar, le pantalon bouffant traditionnel, les yeux verts, cheveux en brosse qui laissent apparaître une cicatrice, l’éclat d’un obus qui lui est en partie resté dans le crâne, Rizgar m’accompagne une nouvelle fois entre Kirkouk et Bagdad, sur les premières lignes face aux combattants de l’Etat islamique. Tel un dengbêj volubile, un barde kurde, le peshmerga de toujours, «celui qui va au-devant de la mort», est intarissable sur ses escarmouches dans toute la contrée. «Là, on a tué quelques soldats irakiens; plus loin, on s’est fait allumer par un char de Saddam Hussein; ici, on a dû fuir en courant à travers la montagne, avec du pain sec que l’on a ramolli dans la neige, et là-bas, tu vois ces sommets, on s'est planqués avant d’être dénichés par les hélicoptères de Bagdad, un carnage dans nos rangs, mais on a répliqué.» 

Rizgar Mustafa raconte ses batailles, ses faits d’armes qui sont connus dans une bonne partie du Kurdistan, mais qu’il n’évoque par pudeur qu'auprès de ses amis. Il a refusé des postes dans les partis politiques et dans l’embryon d’Etat kurde, celui qui germe sur ces terres à la fois fertiles et ingrates, riches en limon et en plomb, semées de ferraille et de poudre depuis des décennies telles des landes martiales. Des refus qui valent aujourd’hui au combattant une double aura, celle du résistant et celle de l’homme intègre qui a résisté aux prébendes.

Aux aguets, nous pénétrons dans une sorte de petit jardin, planté de palmiers et d'arbres fruitiers qui dansent au vent, une improbable oasis si près de la ligne de front, à vingt ou trente mètres, non loin de la ville de Hawijah. Sous les palmiers caressant le ciel, des combattantes kurdes aux cheveux noués en tresse, icônes de la lutte contre les djihadistes, se reposent, tandis que nous discutons avec la cheffe, Baran, qui approche la quarantaine. C’est une femme forte, dans tous les sens du terme, en treillis vert, courtaude et aux solides épaules. Membre du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, formation aux orientations marxistes et classée comme «organisation terroriste» par la Turquie, les Etats-Unis et l’Union Européenne, elle jure ses grands dieux que les djihadistes ne passeront pas. «Et je peux vous dire qu’ici ce sont les femmes qui commandent,» lance-t-elle d’une voix qui ne souffre aucun contre-ordre.

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