Chaque personne avait sa propre histoire, mais pour Gail Allen, une habitante de l’île, le premier signe du déclin durant cet été 2014 a été l’abandon inexpliqué, de la part de Pulama Lanai, des rénovations du terrain de golf derrière sa maison. Les mauvaises herbes et les chardons y montaient jusqu’à la taille, aussi touffus qu’une tête de balai, et les poissons dans l’étang étaient morts, leurs cadavres venant taper contre les bords envahis d’algues, flottant sur le ventre. Le terrain, rattaché au plus petit des deux hôtels Four Seasons et attenant au quartier d’Allen, lui-même à flanc de coteau au-dessus de Lanai City, figurait parmi les rénovations à réaliser en début d’année. Pulama a débroussaillé le terrain et creusé le système d’irrigation, mais depuis il s’est passé peu de choses. Enfin, en mai, l’employé de l’entreprise de conception Jack Nicklaus, qui avait été muté avec sa famille à Lanai dans le but de superviser la reconstruction, a été brusquement renvoyé chez lui. Il a signalé aux voisins que la rénovation du terrain de golf était repoussée à 2015 ou 2016. A ce moment-là, les moustiques pullulaient déjà sur le terrain. La puanteur de l’étang s’infiltrait dans les maisons des gens. «Ça sent les égouts par ici», m’a confié Allen début juillet, lorsque je l’ai appelée pour qu’elle me mette au parfum. Allen possède une boutique de souvenirs en ville et ressemble un peu à Meryl Streep lorsqu’elle sourit. Quand nous nous sommes rencontrés dans son patio, en mars, elle était on ne peut plus optimiste; elle s’éternisait sur le sujet, en s’exclamant: «J’ai l’impression de vivre dans une utopie!» et déclarait qu’elle connaissait des informations confidentielles affirmant qu’Ellison équipait Lanai de la technologie 4G. «Même Honolulu n’a pas la 4G!» a-t-elle insisté. (A vrai dire, si, ils l’ont.)
Je suis reparti pour Lanai quelques jours plus tard. Beaucoup de choses allaient légèrement de travers en comparaison avec ma première visite, puisque l’entreprise était passée du travail facile de rafraîchissement de l’île à la mise en place de sa version réinventée. Cela présentait un problème majeur: Pulama semblait avoir sous-estimé les difficultés qui accompagnaient la construction sur Lanai, où les matériaux et la main-d’œuvre doivent être importés. A présent, elle était désemparée. Il n’y avait pas que le terrain de golf, d’autres signes montraient l’incompétence de Pulama Lanai, ou peut-être seulement son manque de considération – difficile à dire. «Je ne crois pas que M. Ellison essaye de blesser les gens, a-t-elle commenté par téléphone, mais je ne crois pas qu’il réalise que l’économie d’ici est un petit écosystème fragile. Nous étions si zélés: “Oh, mon Dieu, il vient sauver notre île!” A présent, on a juste l’impression que tout est dans l’incertitude. Tout à coup, il y a la peur: qu’est-ce qu’on fera si ça s’effondre?»