Sept.info | La folle traque de Timothy Leary par Richard Nixon (1/2)
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Timothy Leary s'adressant des centaines de hippies rassemblés à l'occasion du Human Be-In qu'il a organisé au Golden Gate Park de San Francisco, le 14 janvier 1967. Leary les enjoints à «se mettre en marche, se connecter et s'abandonner». Cet événement sera le prélude au Summer of love, qui a introduit l'expérience hippie dans le courant dominant américain. © Keystone/AP/Bob Klein

La folle traque de Timothy Leary par Richard Nixon (1/2)

Tandis que le Dr Timothy Leary, icône du mouvement psychédélique, est condamné à une longue peine de prison, les Etats-Unis sont en proie à des flambées de violence. Entre attentats à la bombe et marches pour la paix, la cohésion sociale américaine part à vau-l'eau. Extrait du livre L'homme le plus dangereux d'Amérique paru aux éditions Nevicata.

13 mai 1970, le matin. Sur l’autoroute de la côte californienne, derrière une grille, le détenu 26358 est secoué au rythme du mouvement du bus pénitentiaire. Ce mercredi, son quatre-vingt-quatrième jour de détention, le Dr Timothy Leary est transféré vers son nouveau lieu d’incarcération. Tout ce qu’il possède tient dans la petite boîte en carton qu’il a avec lui: deux paquets de tabac à rouler Bugler, deux stylos-billes et des claquettes de douche en plastique, cadeau d’adieu d’un assassin rencontré dans une autre prison d’Etat. Il aura cinquante ans dans quelques mois, devient dur de la feuille, mais garde le crâne garni de mèches argentées et ondulées. Mince, bronzé, il a le profil élancé d’un «vieux beau». L'un de ces pros du tennis à la retraite que l’on croise dans les country clubs. Mais avec un QI de génie. Capable de citer Socrate et la Bhagavad-Gita en enseignant les sept niveaux de conscience ou la nature physiologique de l’orgasme féminin. Les autres détenus de ce bus -  tueurs, voleurs et violeurs acheminés vers les prisons d’Etat de Folsom ou San Quentin -  ont entendu parler de lui. Il est le parrain de la décennie psychédélique, celle des années 1960, le grand manitou du LSD, celui qui disait à la jeunesse: Turn on, tune in, drop out (Viens, branche-toi, décroche). 

Le bus noir et blanc de la prison se bringuebale du côté de Ventura, et Leary essaie d’entrevoir l’écume de l’océan Pacifique derrière la crasse des vitres. Il aperçoit un groupe de surfeurs tentant d’attraper leurs prochaines vagues. A un feu, au niveau de Santa Barbara, il jette un œil et voit un homme passer en décapotable. Les longs cheveux de la magnifique femme à ses côtés flottent dans le vent. Leary soupire, détourne le regard. Quelques heures auparavant, à 3 heures du matin, il faisait un rêve érotique. Il s'imaginait dans une superbe maison de Santa Monica, avec l’océan à ses pieds. Il y a une femme nue qui s’allonge sur une peau de bête devant la cheminée. Un titre bluesy de Janis Joplin sort des enceintes. La femme se met à l’aise et lui susurre d’une voix de velours due aux drogues: «Je veux juste me sentir bien, rien d’autre… fais-moi planer encore». Tout se passait à l’avenant, et mieux encore. Puis au milieu du songe, les gardiens lui ont hurlé dessus en lui intimant de rassembler ses frasques pour son départ vers sa nouvelle prison. Le bus tousse en traversant les montagnes à Prismo Beach, et quand la route s’ouvre à nouveau, Leary aperçoit la ville de San Luis Obispo, avec le vert soyeux de ses collines. Ils passent rapidement devant la vaste étendue du campus universitaire de Cal Poly, qui rouvre juste ses portes après quatre jours de fermeture imposés par le gouverneur Ronald Reagan suite aux protestations étudiantes qui secouèrent l’ensemble du pays.

Soudain, un détenu crie en pointant quelque chose du doigt. Le taulard gesticule et montre sur Poly Mountain le «P» en béton de quinze mètres de haut qui surplombe l’université. A côté du gigantesque «P», des étudiants rebelles ont ajouté deux nouvelles lettres. On y lit maintenant le mot POT (argot nord-américain désignant de la marijuana). Les détenus s’esclaffent et approuvent par des cris. Trois kilomètres après le campus, le California Men’s Colony West (Centre californien de détention pour hommes) apparaît. Des îlots blancs de simples baraquements en bois, avec des arbres en fleurs qui font comme des taches, sont éparpillés sur les collines. Alors qu’ils s’en approchent, Leary voit un groupe de vieux détenus jouer au palet et d’autres se dandiner sur des terrains de tennis aux revêtements craquelés. Au loin, sur l’austère parcours de golf de la prison, un détenu exerce son swing, puis exécute un drive. Le CMC-West est un établissement pénitentiaire de sécurité minimale, étudié pour un public d’hommes âgés présentant peu de risques de violences. Des tireurs d’élite patrouillent le périmètre de nuit dans des véhicules armés. Hormis cela, la seule barrière physique le coupant du monde extérieur est un grillage de quatre mètres de haut, complété par trois rouleaux de fil de fer barbelé. Leary tenta de s’y faire transférer aussitôt sa sentence prononcée. Quand il passa le test de personnalité usuel du système carcéral permettant l’orientation par les autorités, il sut exactement quoi répondre pour apparaître aussi docile que possible. Il avait lui-même mis au point bon nombre des questions de ce test lors de sa précédente vie, celle de psychologue de renommée nationale. Alors que le bus se gare pour débarquer ses passagers, un détenu hurle soudain à Leary:
- Hé mon gars, c’est la fin du voyage. Le Service correctionnel t’a envoyé ici dans ta dernière demeure.

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