Tommaso Buscetta, le repenti le plus célèbre de la mafia (3/5)

Dans les années 80, Palerme est l'une des métropoles les plus chères et les violentes de la vieille Europe en raison du trafic de drogue et de la spéculation immobilière, dont profitent avant tout les Corléonais et leurs alliés politiques. Buscetta, qui s'est évadé de sa résidence surveillée à Turin, ne rêve que d'une chose, repartir au Brésil.

Mafia Buscetta Mafia Buscetta
Selon Tommaso Buscetta, le père de Salvatore Lima (à gauche) était un «homme d’honneur» du clan mafieux du centre de Palerme dirigé par Salvatore et Angelo La Barbera et dont faisait partie la famille de Buscetta. Celui-ci n’a révélé ces faits sur les relations entre politiciens et mafiosi qu’après les assassinats de Salvo Lima et du juge Giovanni Falcone en 1992. En octobre 2004, la Cour de cassation de Rome a établi que Giulio Andreotti (à droite), membre de tous les gouvernements de 1946 à 1992, avait eu des «liens amicaux et même directs» avec les meneurs de la branche la plus «modérée» de Cosa nostra, Stefano Bontade et Gaetano Badalamenti, favorisés par la relation entre eux et Salvo Lima. Les faits étant prescrits, Andreotti ne sera pas condamné et poursuivra sa carrière politique jusqu'à sa mort en mai 2013, à l'âge de 94 ans.  © Keystone / Mondadori Portfolio / Alberto Roveri

A peine débarqué à l'aéroport de Punta Raisi, Tommaso Buscetta avait reconnu tous les signes avant-coureurs de la folie qui régnait dans la ville de Palerme. Comme à l'habitude, les trois manches à air de la piste d'atterrissage pointaient dans trois directions différentes, preuve concrète autant que quotidienne de l'ineptie de ces hommes qui, par cupidité, avaient fait édifier l'aéroport de Punta Raisi en un lieu unique en son genre, entre mer et montagne, dans un étroit couloir balayé par des vents contraires, lui accordant ainsi une sérieuse chance de figurer parmi les plus dangereux de la planète. Encore sous le choc d'un atterrissage que seul un miracle ou l'extraordinaire habileté des pilotes avaient empêché de se transformer en amerrissage, Tommaso Buscetta aperçut au début de la piste les quelques casemates jetées sur un terrain vague qui valent à cet endroit l'appellation pourtant contrôlée d'aéroport international. Dès sa descente d'avion, il retrouva des sensations familières: la moiteur de l'air, la douceur de la lumière combinée à des rafales de senteurs poivrées que disputaient, au gré des vents, des relents d'odeurs maritimes et la fragrance du jasmin. Palerme, a dépeint l’écrivain Leonardo Sciascia, est comme une porte qui n'a jamais empêché personne ni d'entrer ni de s'enfuir. Une porte qui a vu entrer et sortir les Arabes, les Normands, les Français, les Anglais, les Espagnols et, pour finir, les Italiens. Autant d'allées et venues qui ont fait de la ville un amas baroque de minarets et d'arches gothiques, d'encorbellements rococo et de coupoles brunelleschiennes, le tout surnageant au milieu d'un monceau de ruines, vestiges jamais déblayés de la Seconde Guerre mondiale, et solidement encadré par les murailles de béton d'une spéculation immobilière plus récente, mais aussi efficace que les bombes alliées. Evoquant les hordes de Barbares déferlant sur Rome, on qualifie maintenant de «sac de Palerme» l'explosion urbaine des années 60. 

C'est dans l’une de ces abominables constructions modernes que Tommaso Buscetta allait devoir vivre l'espace de quelques mois, son fils Antonio s'étant débrouillé pour lui louer un appartement sans âme, viale Croce Rossa. Les journaux ayant rapporté la nouvelle de sa fuite de Turin avec l'ampleur que l'on devine, le boss des deux mondes se devait de respecter un minimum de précautions durant sa présence à Palerme. Il savait que pour un homme d'honneur recherché par toutes les polices de son pays, la capitale sicilienne était un refuge de prédilection: dans les périodes de guerre des gangs, le nombre de fugitifs qui déambulaient dans les rues de la ville se chiffrait généralement par centaines. Pour vivre en toute clandestinité dans la cité médiévale, il suffisait d'observer certaines règles de vie élémentaires: déménager souvent, disposer de faux papiers et surtout faire très attention à la manière dont on se déplace. Buscetta apprit donc à limiter ses trajets au strict minimum, évitant de trop circuler à pied. Il savait que s'il voulait marcher dans les rues de la ville, il fallait le faire entre treize heures trente et seize heures. Tous les hommes d'honneur vous le diront: aux premières heures de l'après-midi, il est peu fréquent de croiser des policiers dans les venelles palermitaines. Au demeurant, la chaleur estivale aidant, il est tout aussi rare d'y rencontrer âme qui vive, sauf peut-être précisément quelque fugitif qui profite de l'heure de la sieste pour se hasarder devant les rideaux de fer baissés de boutiques soumises au «couvre-feu» de mise en cette période de l'année. Moyennant toutes ces précautions, Tommaso Buscetta put rencontrer ses frères d'armes du passé, ses anciens codétenus et ses nouveaux amis. Au bout de quelques jours, il s'était fait une idée précise de la situation.

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