Tommaso Buscetta, le repenti le plus célèbre de la mafia (4/5)

© DR / sept.info

Réfugié au Brésil, le boss des deux mondes apprend les assassinats de ses amis qui avaient envisagé de supprimer le représentant des Corléonais au sein de la Coupole, Toto Riina. La «deuxième guerre de la mafia» a commencé à Palerme. Buscetta n'espère qu'une seule chose, que Cosa nostra oublie jusqu'à son nom.

Stefano Bontate venait de fêter son quarante-troisième anniversaire en compagnie de quelques parents et d'une dizaine d'hommes d'honneur de sa famille dans sa propriété de la via Villagrazia, aux portes de Palerme, à une centaine de mètres de l'avenue qui cadenasse le sud de la ville. Pour animé qu'ait été le banquet, tout laisse à croire que la fête fut ratée. L'heure n'était pas aux festivités: trop d'aigreurs rentrées et de sourds complots mal étouffés avaient alourdi une atmosphère déjà chargée par les prémices de la guerre imminente. Le chef de la famille de Santa Maria di Gesù avait reçu les vœux de son ancien second, le marchand de tissus Pietro Lo Jacomo, à peine démis de ses fonctions et qui ne semblait pas lui en vouloir outre mesure. Ces derniers temps, le Faucon avait bien des soucis avec sa famille, et l'éviction de Pietro Lo Jacomo n'était qu'un épisode de la longue série d'incidents au cours de laquelle Bontate avait vu son pouvoir contesté aussi bien de l'intérieur, par certains de ses hommes et par son frère, que de l'extérieur, par le secrétaire de la Coupole, Michele Greco

La fête s'était terminée remarquablement tôt. Peu après vingt-trois heures, le 23 avril 1981, le prince de Villagrazia se mit au volant de sa Giulietta 2000 flambant neuve. L'un de ses hommes, Stefano Di Gregorio, était chargé de lui ouvrir la route à bord d'une petite Fiat 127 jusqu'à sa maison de campagne, où il avait décidé de passer la nuit. Il ne leur fallut que quelques minutes pour rejoindre la viale Regione Siciliana, boulevard extérieur qui allait leur permettre de gagner l'autoroute Palerme-Catane qu'ils abandonneraient à la première sortie. Arrivé à destination bien avant son chef, Stefano Di Gregorio avait eu largement le temps d'ouvrir grandes les grilles de la propriété, de garer sa voiture avant de s'inquiéter du retard de son parrain. Di Gregorio n'avait pas réalisé qu'il l’avait perdu à un feu rouge passé un peu trop hâtivement. Il remonta donc dans sa Fiat 127 et rebroussa chemin jusqu'à la viale Regione Siciliana. Di Gregorio comprit instantanément ce qui s'était passé. La touffeur de la soirée avait empêché l'odeur de poudre brûlée de se dissiper, et le quartier était plongé dans un silence plus impénétrable qu'à l'ordinaire. Le flanc gauche de la Giulietta 2000 s'était encastré contre un mur à l'angle des via Aloi et Regione Siciliana, le moteur tournait encore et les phares n'étaient pas éteints. Le chef de la famille de Santa Maria di Gesù était tombé dans un guet-apens alors qu'il attendait sagement à un feu rouge. Mortellement blessé, Stefano Bontate avait eu le réflexe d'embrayer la première vitesse de son véhicule qu'il n'avait pourtant pu dégager que sur quelques mètres. Dès qu'il ouvrit la portière arrière droite du véhicule, Stefano Di Gregorio sut qu'il n'y avait plus rien à faire pour son chef. Le prince de Villagrazia reposait sur le côté droit, son visage n'était plus qu'un trou béant rouge, tandis que dans le dos de la veste de son costume clair se dessinaient deux cratères noirâtres de quelques centimètres de diamètre. L'homme avait eu le temps de sortir son arme, un pistolet semi-automatique de calibre 7,65, mais on ne pouvait dire s'il avait eu le temps de s'en servir. Au loin retentissaient déjà les cris stridents des voitures de police. Stefano Di Gregorio s'éloigna dans la nuit en laissant sur la chaussée des traces de pas ensanglantés. Sur le sol tout autour du véhicule gisaient quelques douilles métalliques portant les numéros 711-74 et provenant d'un fusil d'assaut automatique, de fabrication soviétique, mondialement connu sous l'appellation de kalachnikov.

Le promoteur immobilier Girolamo Teresi, Mimmo pour les intimes, était depuis peu le nouveau sous-chef de la famille de Santa Maria di Gesù. Cousin des frères Stefano et Giovanni Bontate, il était le beau-frère du second – tous deux avaient épousé des filles du parrain Matteo Citarda –, mais préférait à n'en point douter la compagnie du premier. Girolamo Teresi avait en effet su s'attirer la confiance de l'aîné des Bontate, qui ne manquait jamais de l'inviter à chacun des banquets qu'il organisait via Villagrazia. C'est ainsi que Teresi avait eu l'occasion d'être présenté aux différents amis de son chef: Nino Salvo, dit «le Gabelou», le capofamiglia Salvatore Inzerillo, ou encore Tommaso Buscetta. Rencontrer tous ces gens représentait pour Teresi plus qu'un honneur, c'était la preuve de la confiance et de l'affection de son chef. C'est dire si l'assassinat de Stefano Bontate l'affecta profondément. Quelques heures après que la nouvelle eut été rendue publique, Girolamo Teresi se rendit au domicile de la famille Bontate, via Villagrazia. Il s'attendait à y trouver une veuve et des parents éplorés tout de noir vêtus, retenant mal leurs sanglots devant les hommes d'honneur de Santa Maria di Gesù venus présenter leurs respects et leurs condoléances. Las, de parents effondrés point ou presque, et d'«hommes» respectueux de la tradition, encore moins. Terrifiés par une chose qu'ils croyaient impossible quelques heures auparavant, les uns et les autres préféraient attendre discrètement la suite des événements. Parmi les rares personnes que Girolamo Teresi croisa ce jour-là dans le salon mortuaire de la villa, se trouvait Salvatore Contorno, un homme d'honneur dévoué à Stefano Bontate au point d'avoir pris le risque de venir, lui qui était déjà recherché par la police palermitaine. Contorno était aussi bouleversé que Teresi. «Je ne suis pas venu hier à la fête d'anniversaire, lui dit Contorno, parce que je ne voulais pas faire courir de risque au chef. J'ai pensé que ce n'était pas la peine de le compromettre par ma présence. Je lui avais présenté mes vœux plus discrètement la veille.» L'homme était fidèle à sa renommée qui lui avait valu d'être surnommé par les autres mafiosi «Coriolan de la Forêt», en hommage à un personnage de la littérature sicilienne que l'on pourrait comparer au Robin des Bois anglais.
– Qu'est-ce qu'on va faire? demanda-t-il à Girolamo Teresi. 
– Je vais aller voir Michele Greco, lui répondit Teresi, pour lui demander des explications.

Teresi avait raison: si un homme savait ce que cachait cet assassinat, c'était bien le secrétaire général de la Coupole, le Pape. En tant que sous-chef, c'est à Girolamo Teresi qu'échut la voiture blindée que le prince de Villagrazia avait commandée à titre de précaution et qui arriva quelques jours trop tard. Depuis la mort de son parrain, Girolamo Teresi ne se déplaçait plus qu'à bord de sa nouvelle acquisition, une lourde Alfetta 2000 bleu marine immatriculée à Milan et digne d'un ministre, avec laquelle il se rendit à plusieurs reprises au Fondo Favarella de Ciaculli où Michele Greco, fidèle aux traditions, continuait de tenir salon les jours où la Coupole ne se réunissait pas. A chacune de ses rencontres, Teresi rentrait un peu plus furieux et toujours plus anxieux. Il avait comme l'impression que le Pape se moquait de lui, essayait de gagner du temps en lui répétant toujours la même chose:
– J'ignore qui a pu faire le coup. Mais je vais m'informer. Revenez demain. En attendant, continuez à vaquer à vos affaires, vous n'avez rien à craindre.

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