Mafia Buscetta Mafia Buscetta
En été 1995, les vacances du célèbre repenti, désormais libre, en compagnie de sa femme et son fils de 15 ans font la une des journaux italiens, soulevant une vive polémique. Embarqué sous un nom d’emprunt, Buscetta, qui a subi plusieurs opérations esthétiques pour échapper aux tueurs de Cosa nostra, se croyait en sécurité, mêlé aux 600 passagers de la croisière. © Our Godfather, 2019

Tommaso Buscetta, le repenti le plus célèbre de la mafia (5/5)

Lors de son transfert du Brésil vers l'Italie, Tommaso Buscetta, anéanti par les meurtres de 14 membres de sa famille perpétrés par les Corléonais, décide de révéler les arcanes de Cosa nostra au juge antimafia Giovanni Falcone. Après l'assassinat de ce dernier en mai 1992, le plus célèbre des repentis accusera Salvatore Lima (tué lui aussi en 1992) et Giulio Andreotti d'être les principaux référents politiques de l'organisation.

Emmitouflé dans un plaid, le regard dissimulé par une lourde paire de lunettes de soleil aux verres fumés, un homme d'une soixantaine d'années se trémousse dans un fauteuil au premier rang de la classe affaires du jumbo-jet qui relie Rio à Rome. La pâleur quasi cadavérique de son visage trahit une nouvelle crise: palpitations du cœur, nausées, sueurs froides; mais le médecin qui se trouve à ses côtés n'a pas l'air préoccupé. Après avoir pris le pouls de l'homme aux verres fumés, il se tourne vers un troisième passager pour lui signifier que tout va sinon bien, en tout cas pour le mieux. Le mystérieux malade du vol Rio-Rome n’est pas un passager comme les autres à en juger par le luxe de précautions qui a entouré son embarquement et celui de son escorte, une dizaine d'Italiens – à n'en point douter des policiers en civil. Qui d'autre peut emprunter un vol régulier armé jusqu'aux dents? Le visage de l'homme est, aux dires des témoins, de ceux qui forcent le respect, de ceux qu'on oublie difficilement sans que l'on puisse dire exactement pourquoi. La tradition orale veut que ses traits aient été modifiés plusieurs fois par des chirurgiens esthétiques latino-américains, lui donnant cet air d'Indio mexicain – menton prognathe, front haut et pommettes saillantes – dont il semble si fier, si l'on en croit les propos prêtés à sa troisième épouse par différents journaux italiens et brésiliens. Verrier de son état, plusieurs fois condamné à de lourdes peines de prison et incarcéré aux Etats-Unis, au Brésil et en Italie pour différents trafics dont celui de la drogue, l'homme fait partie de ceux que les Palermitains appellent dans leur jargon les pezzi da novanta, les «pièces de 90», tant en raison de la puissance de feu qu'ils sont à même de mobiliser qu'à cause de leur stature, morale et physique. Ce n’est pas la première fois qu'il se trouve dans une situation délicate, pourtant cette fois, tassé dans le fauteuil club du gros porteur d'Alitalia, l'homme paraît comme transfiguré. Il a perdu sa légendaire arrogance, celle qui l'a poussé à déclarer à un journaliste: «Si être mafioso veut dire se comporter avec dignité, sans nuire à personne, alors je suis mafioso.» C'était quelques mois avant son arrestation à Sao Paulo par une police brésilienne remarquablement incorruptible: «Il nous a dit qu'il était immensément riche et nous a proposé tout l'argent qu'on voulait en échange de sa liberté», a affirmé un porte-parole de la police pauliste. En l'espace de quelques semaines, une chose terrible a pourtant brisé la fierté de cet homme. A bord du Rio-Rome du 14 juillet 1984, il n'est plus que l'ombre de Tommaso Buscetta, Don Masino pour les intimes, le boss des deux mondes pour les Palermitains.

Bien avant de quitter Palerme pour se réfugier au Brésil en 1981, Tommaso Buscetta avait déjà eu l'occasion d’y vivre à la fin des années 60. Ce qu'il y a fait et ce qu'il y fera une dizaine d'années plus tard demeure en revanche un mystère que même les enquêteurs italiens n’ont pas résolu. Apparemment, lors de son dernier séjour brésilien, il vécut chichement, tout du moins très modestement. Il n'avait, semble-t-il, amassé aucune fortune. Et s'il l'avait fait, il le cachait bien. Son seul bien, Tommaso Buscetta le partageait avec son beau-frère Homero Guimaraes: une propriété foncière de vingt-cinq mille hectares allouée par le gouvernement brésilien à des conditions qui frisaient la donation. Située dans la partie septentrionale du pays, non loin de Sao Paulo, c’était l'une de ces fazendas qu'il fallait, par un travail de titan, arracher à la forêt vierge. L'homme d'honneur semblait en tout cas bénéficier d'appréciables complicités à en juger par la facilité avec laquelle le gouvernement paraguayen lui accorda en mars 1981 un passeport en bonne et due forme au nom de Tommaso Roberto Felice. La chose n'est pas étonnante si l'on accorde quelque crédit à la légende qui fait de lui le prince du trafic international de cocaïne, production régionale des plus lucratives. Si tel était le cas, on serait forcé d'admettre avec certains enquêteurs que Buscetta était un fieffé malin qui savait dissimuler ses narcodollars dans quelque banque suisse au détriment d'un train de vie familiale qu'il faut bien qualifier de raisonnable. Officiellement, Tommaso Buscetta s'affichait commerçant en bois. Et on put le voir, au début de son séjour, visiter diverses scieries, portant un intérêt prononcé à tout ce qui concernait le traitement et le commerce des grumes. Cette nouvelle passion, que l'on ne saurait qualifier de vocation tant elle arriva tardivement, était-elle réelle? Buscetta, Dieu et les arbres seuls le savent. Ce qui est avéré, en revanche, c'est que parallèlement à son activité de colon de la forêt amazonienne, l'homme d'honneur n'avait pas renoncé à la fréquentation de ses semblables. En ce temps-là, il y avait au Brésil une forte communauté de mafieux palermitains qui, associés à divers malandrins napolitains, trafiquaient joyeusement tout ce qui pouvait l'être. Au sein de cette «Little Italy» carioca ou pauliste, l’un des hommes les plus influents était sans conteste le dénommé Antonio Salamone, chef de la famille San Giuseppe Jato et secrétaire de la Coupole, qui avait conservé de puissants intérêts en Sicile. Vers la fin du mois de juillet 1982, alors qu'à Palerme la deuxième guerre de la mafia faisait rage, Tommaso Buscetta avait reçu en sa résidence carioca un étrange coup de téléphone d'Antonio Salamone.
– Il est possible que Gaetano Badalamenti vienne te rendre visite au Brésil, lui aurait-il dit en substance. Evite de le voir, cela ne pourrait t'apporter que des ennuis.

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