Stefano Bontate venait de fêter son quarante-troisième anniversaire en compagnie de quelques parents et d'une dizaine d'hommes d'honneur de sa «famille» dans sa villa de la via Villagrazia, aux portes de Palerme, à une centaine de mètres de l'avenue qui cadenasse le sud de la ville. Pour animé qu'ait été le banquet, tout laisse à croire que la fête fut ratée. L'heure n'était pas aux festivités: trop d'aigreurs rentrées et de sourds complots mal étouffés avaient alourdi une atmosphère déjà chargée par les prémices de la guerre imminente. Le chef de la famille de Santa Maria di Gesù avait reçu les vœux de son ancien second, le marchand de tissus Pietro Lo Jacomo, à peine démis de ses fonctions et qui ne semblait pas lui en vouloir outre mesure. Ces derniers temps, Stefano Bontate avait bien des soucis avec sa «famille», et l'éviction de Pietro Lo Jacomo n'était qu'un épisode de la longue série d'incidents au cours de laquelle Bontate avait vu son pouvoir contesté aussi bien de l'intérieur, par certains de ses «hommes» et par son frère, que de l'extérieur, par le secrétaire de la Coupole, Michele Greco. La fête s'était terminée remarquablement tôt. Peu après vingt-trois heures, le 23 avril 1981, Stefano Bontate se mettait au volant de sa Giulietta 2000 flambant neuve. L'un de ses hommes, Stefano Di Gregorio, était chargé de lui ouvrir la route à bord d'une petite Fiat 127 jusqu'à sa maison de campagne, où il avait décidé de passer la nuit. Il ne leur fallut que quelques minutes pour rejoindre la via della Regione Sicilia, boulevard extérieur qui allait leur permettre de gagner l'autoroute Palerme-Catane qu'ils abandonneraient à la première sortie.
Arrivé à destination bien avant son chef, Stefano Di Gregorio avait eu largement le temps d'ouvrir grandes les grilles de la propriété, de garer sa voiture avant de s'inquiéter du retard de son «parrain». Di Gregorio n'avait pas réalisé qu'il avait perdu Stefano Bontate à un feu rouge passé un peu trop hâtivement. Il remonta donc dans sa Fiat 127 et rebroussa chemin jusqu'à la via della Regione Sicilia. Di Gregorio comprit sans doute instantanément ce qui s'était passé. La touffeur de la soirée avait empêché l'odeur de poudre brûlée de se dissiper, et le quartier était plongé dans un silence plus impénétrable qu'à l'ordinaire. Le flanc gauche de la Giulietta 2000 s'était encastré contre un mur à l'angle des via Aloja et Regione Sicilia, le moteur tournait encore et les phares n'étaient pas éteints. Le chef de la famille de Santa Maria di Gesù, celui que ses proches appelaient le Faucon et les autres le «prince de Villagrazia» était tombé dans un guet-apens alors qu'il attendait sagement à un feu rouge. Mortellement blessé, Stefano Bontate avait eu le réflexe d'embrayer la première vitesse de son véhicule qu'il n'avait pourtant pu dégager que sur quelques mètres. Quand il ouvrit la portière arrière droite du véhicule, Stefano Di Gregorio comprit qu'il n'y avait plus rien à faire pour son chef. Stefano Bontate était couché sur le côté droit, son visage n'était plus qu'un trou béant et rouge, tandis que dans le dos de la veste de son costume clair on pouvait voir deux cratères noirâtres de quelques centimètres de diamètre. L'homme avait eu le temps de sortir son arme, un pistolet semi-automatique de calibre 7,65, mais on ne pouvait dire s'il avait eu le temps de s'en servir avant de décéder. Au loin retentissaient déjà les cris stridents des voitures de police. Stefano Di Gregorio s'éloigna dans la nuit en laissant sur la chaussée des traces de pas ensanglantés. Sur le sol tout autour du véhicule, il y avait quelques douilles métalliques portant les numéros 711-74 et provenant d'un fusil d'assaut automatique, de fabrication soviétique, mondialement connu sous l'appellation de kalachnikov.