Le cimetière marin (7/9)

© DR / sept.info
A la mort du député Pio La Torre, un nouveau préfet antimafia débarqua sur l'île, le général Carlo Alberto Dalla Chiesa. En mettant des bâtons dans les roues des hommes d'honneur, il devint la principale cible de Filippo Marchese et du clan Greco.

Le nombre des assassinats dépassait la centaine quand le gouvernement italien décida qu'il était temps de rétablir l'ordre à Palerme. On dépêcha dans l'île le général des carabiniers Carlo Alberto Dalla Chiesa.

Dès le début du printemps, toute la zone Est de Palerme devient encore plus insupportable qu'en hiver. La chaleur, conjuguée à la violence de la lumière, achève de donner leur véritable dimension à ces ruelles sordides et malodorantes dignes d'un quelconque port moyen-oriental. Loin d'adoucir le décor, les bleus du ciel et de la mer écrasent toutes les autres couleurs au point d'obliger les yeux à se plisser un peu trop fréquemment. Arrive le joli mois de mai et c'est l'enfer. Ce jardin où il faisait si bon vivre à l'aube du XXe siècle, ces arpents d'un paradis massacré, qui fleuraient jadis le jasmin et le citronnier, semblent transformés en une sorte de chaudron où on ne sait trop quel diable ferait macérer les autochtones, des hommes ventrus jusqu'aux chats faméliques, dans des effluves de bitume surchauffé mêlés à des relents indéfinissables autant que répugnants. Vincenzo Sinagra avait tellement l'habitude de cuire dans un tel bain qu'il fut sans doute insensible à la folle canicule qui marqua le début du mois de mai 1982. Sans être un homme d'honneur à part entière, il pouvait déjà se vanter d'avoir la confiance de Filippo Marchese, l'homme qui régnait désormais en tyran sur tout le quartier. Le chef de la famille du Corso dei Mille ne l'appelait plus que par son petit nom, 'Undli, à sa plus grande fierté. Vincenzo Sinagra prétendit par la suite réserver ce genre de privauté à son seul chef, à qui il obéissait sans jamais rechigner. C'est ainsi qu'en l'espace de quelques mois, il fut amené à participer à différentes attaques à main armée — un dépôt d'articles électroménagers, un marchand de vins, une bijouterie — et au plasticage de quelques boutiques dont le propriétaire refusait de se laisser racketter. S'il ne retira pratiquement aucun bénéfice matériel de telles opérations — une seule fois, Filippo Marchese lui donnera l'équivalent en lires de dix mille francs français —, Vincenzo Sinagra dut caresser le rêve de sortir de chacun de ces méfaits grandi peut-être aux yeux du reste de la bande, en tout cas du chef de la famille du Corso dei Mille. S'il n'avait toujours pas été initié aux rites de Cosa nostra, il n'en n'avait pas moins l'impression de faire partie sinon des meubles en tout cas de la petite armée de Filippo Marchese.

Six mois à peine s'étaient écoulés depuis que Vincenzo Sinagra avait assisté à sa première strangulation, et Filippo Marchese semblait ne plus avoir de secrets pour lui. Si la plupart des subtilités de la guerre en cours lui échappaient, Vincenzo Sinagra savait pourtant que le monde des hommes d'honneur se divisait désormais en deux: les «gagnants» et les «perdants». Il avait également compris que sa «famille» s'était alignée sur les premiers et que, sous la houlette de Michele Greco et de ses alliés corléonais, elle avait entrepris de massacrer systématiquement les seconds. Pour le reste, la logique de certaines exécutions lui était à peu près incompréhensible. Il convient de préciser que Vincenzo Sinagra n'était pas le seul dans ce cas: à la veille de l'été 1982, on tuait pour à peu près n'importe quel motif à Palerme. Un peu comme si la férocité des hommes d'honneur avait augmenté avec la température.

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