L'homme de Rio (9/9)

© DR / sept.info
Cela faisait plusieurs années que Tommaso Buscetta s'était établi au Brésil avec sa famille. Mais la guerre des clans qui ravageait Palerme allait bientôt le rattraper.

Dans l’avion qui le ramène de Rio vers Palerme ce 14 juillet 1984, Tommaso Buscetta, Don Masino pour les intimes, le «boss des Deux Mondes» pour les Palermitains, a pris sa décision: il va briser la loi du silence.

Loin, très loin de Palerme, emmitouflé dans un plaid, le regard dissimulé par une lourde paire de lunettes de soleil aux verres fumés, un homme d'une soixantaine d'années se trémoussait dans un fauteuil au premier rang de la classe affaires du jumbo-jet qui reliait Rio à Rome. La pâleur quasi cadavérique de son visage trahissait une nouvelle crise: palpitations du cœur, nausées, suées froides; mais le médecin qui se trouvait à ses côtés n'avait pas l'air préoccupé. Après avoir pris le pouls de l'homme aux verres fumés, il se tourna vers un troisième passager pour lui signifier que tout allait, sinon bien, en tout cas pour le mieux. Le mystérieux malade du vol Rio-Rome n'était pas un passager comme les autres à en juger en tout cas par le luxe de précautions qui avait entouré son embarquement et celui de son escorte, une dizaine d'Italiens — à n'en point douter des policiers en civil: qui d'autre pouvait emprunter un vol régulier armé jusqu'aux dents? Le visage de l'homme était, aux dires des témoins, de ceux qui forcent le «respect», de ceux qu'on oublie difficilement sans que l'on puisse dire exactement pourquoi. La tradition orale voulait que ses traits eussent été modifiés plusieurs fois par des chirurgiens esthétiques latino-américains, lui donnant cet air d'Indio mexicain — menton prognathe, front haut et pommettes saillantes — dont il semblait si fier, si l'on en croit les propos prêtés à sa troisième épouse par différents journaux italiens et brésiliens.

Verrier de son état, plusieurs fois condamné à de lourdes peines de prison, et incarcéré, aux Etats-Unis, au Brésil et en Italie, pour différents trafics dont celui de la drogue, l'homme faisait partie de ceux que les Palermitains appellent dans leur jargon les pezzi da novanta, les «pièces de 90», tant en raison de la puissance de feu qu'ils sont à même de mobiliser qu'à cause de leur stature, morale et physique. Ce n'était pas la première fois qu'il se trouvait dans une situation délicate, pourtant cette fois, tassé dans le fauteuil club du jumbo d'Alitalia, l'homme semblait comme transfiguré. Il avait perdu sa légendaire arrogance, celle qui l'avait poussé à déclarer à un journaliste: «Si être mafioso veut dire se comporter avec dignité, sans nuire à personne, alors je suis mafioso.» C'était quelques mois avant son arrestation à Sao Paulo par une police brésilienne remarquablement incorruptible: «Il nous a dit qu'il était immensément riche et nous a proposé tout l'argent qu'on voulait en échange de sa liberté», affirma un porte-parole de la police pauliste. En l'espace de quelques semaines, une chose terrible avait pourtant brisé la fierté de cet homme, car ce n'était plus que l'ombre de Tommaso Buscetta, Don Masino pour les intimes, le «boss des Deux Mondes» pour les Palermitains, qui se trouvait dans le Rio-Rome du 14 juillet 1984.

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