Sept.info | Le rôle de Marcello Dell'Utri dans la mort d'un juste…
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L’ancien Premier ministre italien et leader de Forza Italia Silvio Berlusconi assiste le 15 février 2018 à une émission télévisée de LA7 à Rome. © Keystone / EPA / ANSA /Angelo Carconi

Le rôle de Marcello Dell'Utri dans la mort d'un juste (2/3)

La «résistible ascension» de Silvio Berlusconi dans le bâtiment, les travaux publics et les médias commence dans les années 70. Marcello Dell’Utri, son bras droit et l’ami des parrains, joue les entremetteurs. Le procureur de Palerme, Paolo Borsellino s’intéresse de près à lui. D'un peu trop près?

21 mai 1992. Une atmosphère sombre et menaçante plane au premier étage du Palais de justice dans les bureaux du procureur de la République. L’endroit que j’avais connu animé est trop silencieux. Le calme qui y règne est de ceux qui annoncent les tempêtes. L’homme qui m’accueille est un ami, c’est le procureur Paolo Borsellino. Je l’ai rencontré pour la première fois au début des années 80 dans une Palerme qui vivait à l’heure de «la deuxième grande guerre de la mafia», qui fera plus de mille morts. Le consigliere Rocco Chinnici, doyen et chef des juges d’instruction de la cité palermitaine, nous a présentés. A l’époque, au Palais de justice de Milan, le juge Giovanni Falcone était déjà la coqueluche des journalistes. «Allez plutôt voir le juge Paolo Borsellino, m’avait-il soufflé, il ne fait pas partie du pool antimafia. Si vous voulez comprendre Palerme, il sera votre guide.» Avec sa petite moustache et ses manières raffinées, il était l’archétype du Sicilien. Il était aussi l'un des rares juges à ne pas travailler à plein temps sur la mafia. Quand je fais sa connaissance, il instruit le dossier d’une bande de braqueurs de bijoutiers.

Le 29 juillet 1983, Rocco Chinnici est assassiné de la plus terrible des manières: la mafia s’est servie d’une voiture bourrée d’explosifs, une première pour la Sicile, ce genre d’attentat étant jusqu’alors l’apanage des factions armées qui ravageaient le Liban. «Palerme comme Beyrouth» titre la presse. La mort du consigliere Chinnici me rapproche de Paolo Borsellino. Au fil de mes séjours palermitains, j’ai suivi toute sa carrière. Je le quittai petit juge d’instruction pour le retrouver quelques années plus tard numéro deux du pool antimafia du tribunal de Palerme aux côtés de Giovanni Falcone. En 1986, il rédige, dans le cadre du maxi-procès, l'Ordonnance de renvoi de 474 mafieux devant le tribunal de Palerme. Du jamais vu: pour la première fois, les juges étaient sûrs de gagner, une dizaine de «repentis» avaient accepté de collaborer avec la justice et de briser publiquement la loi du silence. Paolo Borsellino écrivait son acte d'accusation tandis que je couchais sur le papier La vie quotidienne de la mafia. Après le maxi-procès, j’ai revu mon ami le juge à Marsalla, puis à Palerme où il avait été nommé procureur au début des années 90. Je me souviens de lui avec émotion, ses cigarettes Benson & Hedges et, surtout, son regard malicieux. Le Paolo Borsellino que je retrouve ce 19 mai 1992 a perdu son ironie. Je suis venu le voir pour les besoins d’un livre et d’un film destiné à Canal Plus. A cette époque, je m’étais en effet lancé dans une enquête sur la mafia en Europe. Un premier repérage en Italie en compagnie du réalisateur Jean-Pierre Moscardo s’annonçait prometteur. Nous avions obtenu du très sulfureux Salvatore Achille Ettore Lima de le suivre avec une caméra. Un scoop! Courroie de transmission entre la mafia et la Démocratie chrétienne, Salvo Lima parlait peu et se montrait rarement; il était le détenteur de tous les secrets siciliens. Le projet intéressait la chaîne cryptée. 

A la fin d’une réunion avec la direction de Canal, Jean-Pierre Moscardo mentionna les autres pistes sur lesquels nous pensions enquêter, dont celle des liens entre la mafia et Silvio Berlusconi. L’information nous avait été soufflée par l’une de nos sources, un agent des Services de contre-espionnage italien qui était en contact avec certains parrains de la mafia et de la Camorra. La réaction de la chaîne fut sans ambiguïté: «Berlusconi nous intéresse! Oubliez tout le reste et foncez!» Et pour cause: Silvio Berlusconi venait d’annoncer son intention de racheter au groupe de presse français Hersant ses participations dans la Cinq pour la transformer en chaîne de télévision payante. Il entrait ainsi en concurrence frontale avec Canal Plus. En 1992, alors que je commence mon enquête à Milan, Vittorio Mangano, l’écuyer de Silvio Berlusconi, s’apprête à sortir de prison. Mais les enquêteurs n’en ont pas fini avec lui. C’est ce qui m’amène chez Paolo Borsellino. Quelque chose comme une sourde inquiétude le ronge. Quand il apprend la raison de ma venue (obtenir des informations sur Vittorio Mangano), il me coupe et me dit: «Pas maintenant, pas ici…» Comme si les murs avaient des oreilles. Alors où… et quand? Dans deux jours chez lui. J’avais interviewé Paolo des dizaines de fois, dans des bureaux, dans des voitures, dans des casernes, dans des salles de tribunal, au restaurant… Jamais chez lui. En arrivant chez Paolo Borsellino via Cilea, j’ai pensé que si la mafia voulait l’assassiner, il lui suffisait de le frapper devant son domicile. Hélas, je n’étais pas loin d’avoir raison. Ce 21 mai 1992, Paolo est tendu. L’entretien est filmé. Il est à son bureau et devant lui, il n’a que deux choses, un paquet doré de Benson & Hedges et un dossier qu’il feuillette tandis qu’il me parle. Il s’agit de documents confidentiels qui concernent les liens entre Berlusconi et la mafia. Borsellino me confie: «J’ai connu Vittorio Mangano avant le maxi-procès de Palerme, plus exactement au cours des années 75-80. Je me souviens avoir suivi un dossier sur des extorsions de fonds aux dépens de cliniques privées palermitaines qui avaient une caractéristique commune: on envoyait à leurs propriétaires des têtes de chien coupées. Ce fut ma première rencontre avec Vittorio Mangano. Par la suite, il me fut signalé par Tommaso Buscetta et Salvatore Contorno (deux repentis de la mafia, nda) comme un membre de Cosa nostra […] Il appartenait au clan de Pippo Calò, le chef de la famille de Porta Nuova, dont Buscetta faisait partie. Nous avons alors appris que Mangano habitait à Milan, ville qui servait de "terminal" pour les trafics de stupéfiants des clans palermitains et à partir de laquelle il gérait un trafic de drogue […] Notre enquête a permis d’intercepter des conversations téléphoniques entre Mangano et d’autres personnages des familles mafieuses palermitaines. Lors de ces échanges, il annonçait ou parlait de l’arrivée d’un chargement d’héroïne appelée, selon les cas, dans le jargon de la pègre "maillots" ou "chevaux". Il a d’ailleurs a été condamné en 1986 pour trafic de drogue.»

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