Le sommet historique des parrains

© Keystone / AP / Remo Nassi
Lucky Luciano (Salvatore Lucania, 1897-1962) de Lercara Friddi (Sicile) à l’hôtel Excelsior de Rome, 11 juin 1948. 

En octobre 1957, le gotha de la Cosa nostra américaine et de son homologue sicilienne accordent leurs violons à Palerme afin d’optimiser leurs trafics, sous l’ombre tutélaire de Lucky Luciano, le père du crime organisé moderne.

Le 10 octobre 1957, la préfecture de Palerme est avisée d’une activité plus dense que d’habitude au Grand Hôtel et des Palmes. Situé via Roma, en plein centre de la ville, l’établissement est l’endroit le plus chic – avec la Villa Igiea, plus excentrée – où descendre quand on est en visite dans la capitale insulaire. L’agent de police Malannino se rend donc sur place, monte au bar et note la présence de Giuseppe Genco Russo, l’homme qui a remplacé le capo dei capi (le chef des chefs) Calogero Vizzini, dit Don Calò, depuis la mort de celui-ci en juillet 1954. Deux jours plus tard, l’agent Lo Piccolo relate à son tour ce brassage inaccoutumé dans deux notes de service: «12 octobre: arrivée de Sorge, Galante et Bonanno qui logent à l’hôtel. Ce même jour: Giovanni Bonventre, Francesco Garofalo, Genco Russo et "cinq inconnus" rendent visite aux premiers. L’après-midi, "douze inconnus" accompagnent Genco Russo, Galante, Bonanno, Vitale et Di Bella. 16 octobre: Bonanno, Galante, Bonventre, Garofalo se rencontrent à nouveau en compagnie cette fois de Gaspare Magaddino.»

La police palermitaine n’a pas de mal à identifier les «étrangers». Bien habillés, les cheveux gominés, ils parlent un italien cassé plein de mots américains et de quelques traces de dialecte du sud de l’Italie: Giuseppe Carlo «Joe» Bonanno, parrain d’une des cinq familles de New York; Francesco Garofalo (Frank Carroll), son conseiller; Giovanni «Joe» Bonventre et Camillo «Carmine» Galante, deux de ses lieutenants; Giovanni Vincenzo «John» Di Bella, l’un de ses hommes de main; Santo Sorge, représentant du syndicat de Cosa nostra aux Etats-Unis chargé de liaison avec la mafia sicilienne; et Vito Vitale (représentant notamment les intérêts de Giovanni Priziola, chef de la famille éponyme de Détroit, et de son gendre Raffaele Quasarano, membre de cette même famille). Les forces de l’ordre italiennes éprouvent plus de difficulté à mettre un nom sur les Siciliens, vestes en velours, chemises en moleskine et casquettes plates pour certains. Exception faite du parrain des parrains Giuseppe Genco Russo et de Gaspare Magaddino (chef de la mafia de Castellamare del Golfo et représentant de la puissante famille éponyme de Buffalo dirigée par son cousin Stefano). «Il faut replacer cet événement dans le contexte, explique Salvatore Lupo, historien de la mafia. Aux Etats-Unis, le directeur du FBI J. Edgar Hoover et, en Sicile, le cardinal Ruffini affirmaient en coeur que la mafia n’existait pas. A l’époque, on parlait plus de gangsters que de mafieux.» Le trafic de cigarettes était alors plus connu des autorités italiennes que celui de l’héroïne, largement répandu et contrôlé par les «familles» outre-Atlantique. «Ce qui est cependant surprenant, et qui ne peut pas être justifié par le plus bienveillant et le plus compréhensif des observateurs, c’est le manque total d’intérêt pour approfondir ces informations […] La mention, par exemple, de cinq, puis douze "inconnus" assistant au sommet et accompagnés de Genco Russo est d’une superficialité sans borne», fulmine le sénateur Michele Zuccalà, rapporteur de la première commission parlementaire chargée d'enquêter sur le phénomène de la mafia sicilienne (1963-1976). Car, parmi cet aréopage d’«inconnus», plusieurs vont devenir des figures prééminentes de Cosa nostra en Sicile: Giuseppe «Pino» Greco, Luciano Leggio, les frères La Barbera, Tommaso Buscetta, Gerlando Alberti, lâche le rapporteur. Une attitude d’autant plus critiquable que le gouvernement italien, après avoir été accusé aux Nations Unies d’être une base du trafic de morphine et de cocaïne vers les Etats-Unis, a adopté en 1954 une loi imposant des contrôles stricts sur les mouvements de drogue, des sanctions sévères à l’encontre des trafiquants et l’obligation de capture.

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