Le Mali déchiré par les Touaregs (1/2)

A travers un récit personnel, nourri de paysages, de rencontres et d'anecdotes, le journaliste François-Xavier Freland tente de comprendre les racines du mal qui ronge le Mali. Pour commencer, il rencontre les rebelles touaregs dans le désert de l'Azawad.

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«Les tirs de canons ont résonné, toutes les armes ont crépité, elles sont devenues chaudes… L’armée malienne est démantelée, nous crions haut et fort le nom d’Hassan Ag Fagaga et d’Ibrahim Ag Bahanga.» (extrait© DR

En janvier 2008, alors qu’une trêve militaire est instaurée dans le Nord, je décide de rejoindre Kidal. J’ai préparé mon «expédition» grâce aux quelques contacts dans le milieu indépendantiste d’une humanitaire française. Christine, une jeune femme d’origine vendéenne mariée à un notable de la ville, est visiblement acquise à la cause touarègue. Je suis sensible à son origine, car mes grands-parents ont longtemps vécu à Fontenay-le-Comte, sous-préfecture du département. Cela crée un lien entre nous, un climat de confiance. 

André, un coopérant français proche de la retraite, installé à Bamako depuis longtemps et fin connaisseur du Mali, m’a facilité le contact. Dès qu’il m’a serré la main, il s’est acharné contre mon collègue de RFI. «Je ne le supporte plus, il ne fait pas son travail, il parle du Nord sans y mettre les pieds.» Je connais peu ce journaliste mais trouve la charge assez dure alors que ce dernier passe pour être le spécialiste de la zone. Il est l’auteur de plusieurs enquêtes sur l’immigration clandestine et sur les réseaux mafieux au nord. Apparemment, il ne me porte pas dans son cœur, sans doute par peur que je lui fasse de l’ombre dans cette petite niche malienne où il n’y a pas de place pour tout le monde. Je sais aussi qu’un «journaliste» finit toujours par agacer l’un ou l’autre camp. Je soupçonne André, aussi charmant soit-il, de travailler parallèlement pour les services de renseignements français, et peut-être même de m’utiliser pour en savoir un peu plus sur la localisation des rebelles, leur nombre, leurs armes, leur organisation aussi. J’irai chercher la balle, comme on dit.

C’est par bus, sur les conseils de Christine, que je me rends à Gao. Cela fait plusieurs mois que je me prépare à ce voyage, mais j’ai longtemps reculé, sans doute par peur de ce que symbolise cette zone de non-droit, où les rapts sont fréquents. Je me suis finalement décidé à passer le pas quasiment la veille pour le lendemain. Je ne pouvais plus rester à Bamako, à boire des verres au maquis (débit de boissons ou restaurant plus ou moins clandestin, nda) au son de la kora, alors que le pays est au bord de l’implosion. Le Mali, c’est le «farniente» ou la «guerre».

Lucie a accepté de prendre quelques vacances et de rentrer provisoirement à Paris durant mon escapade. Je préfère qu’elle soit en sécurité au cas où il m’arriverait quelque chose. Je crains autant les militaires maliens que les groupes armés. Il me faut pratiquement quarante-huit heures pour rejoindre l’extrême nord-est du Mali, aux confins de la Mauritanie, de l’Algérie et du Niger. Après l’interminable RN6 qui relie Bamako à Mopti, le bus prend la direction de Gao. La route y est plus plaisante après Douentza, car on traverse des paysages plus contrastés, le long des montagnes Hombori, avec leur immense rocher en forme de main qu’on surnomme «Fatima» et censé protéger les automobilistes du mauvais sort. 

A Gao, l’ancien comptoir de commerce, le carrefour des caravanes, un chauffeur enturbanné m’attend à la sortie du bus dans la gare routière. On monte dans son pick-up Land Cruiser Toyota beige, la voiture du désert. L’homme, dont je ne vois que les yeux, ne semble pas particulièrement sympathique, il parle à peine français. En fait, il ne parle pas. J’apprends alors à me taire. Il appuie sur l’accélérateur avec des pointes à 160 km/h. Je vois déjà l’accident, les tonneaux, le rapatriement à Bamako. Nous croisons sur notre chemin quelques campements touaregs et, plus étonnant, des caravanes de dromadaires…

A mesure qu’on s’enfonce dans la région «maudite», le goudron disparaît sous le sable, comme une impasse naturelle. Nous quittons la brousse pour entrer dans le mythique Sahara. Voici donc, devant moi, la huitième région du Mali, l’une des plus pauvres, où les quelques tentatives d’agriculture sont minées par les sécheresses à répétition et les projets de développement en suspens, depuis la reprise de la rébellion en août 2007. Sur le chemin, nous croisons des cavaliers enturbannés qui nous saluent au passage. A la tombée de la nuit, un épais brouillard chargé de sable rend plus inquiétante l’atmosphère, nous ne voyons plus au-delà de 10 mètres. Je suis impressionné par la conduite du chauffeur, et sa connaissance du terrain, sans boussole, alors que jamais nous ne quittons cette piste, où mes yeux sont incapables de déceler le moindre repère. 

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