Le Mali rongé par le djihad (2/2)

A travers un récit personnel, nourri de paysages, de rencontres et d'anecdotes, le journaliste François-Xavier Freland tente de comprendre les racines du mal qui ronge le Mali. Après avoir rencontré les rebelles touaregs, il se rend dans les villes libérées du joug djihadiste en 2012-2013.

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«Les risques de kidnapping sont certains alors que l’imminence d’une vaste offensive jihadiste se précise.» (extrait)© DR

Ce retour au Mali me laisse un goût amer. Je ne sais pas ce que je suis venu réellement chercher ici. Est-ce vraiment l’actualité qui a déterminé mon besoin de revenir? Je ne le crois pas. Je n’ai finalement pas cette passion-là de l’actualité, ou juste suffisamment pour faire le métier que je fais. J’aime l’histoire surtout. Etre là, pour ne rien rater, peut-être pour pouvoir dire «j’y étais». Et puis, j’ai l’impression de vouloir appréhender la mort ou de la provoquer inconsciemment, dans une sorte de rédemption. C’est comme si je voulais disparaître, me consumer intérieurement, brûler de tous mes sentiments. Alors que les nouvelles ne sont pas bonnes dans le nord du pays, qui donne l’impression de craquer de toute part, je décide rapidement de rejoindre Mopti, aux portes de la partie malienne désormais sous contrôle du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), une organisation salafiste terroriste créée en 2011, après une scission avec Aqmi.

J’ai réussi à obtenir une place dans l’avion de l’UNHAS (United Nations Humanitarian Air Service) qui rejoint une fois par semaine cette zone rouge pour les Occidentaux. Les risques de kidnapping sont certains alors que l’imminence d’une vaste offensive djihadiste se précise. Quelques semaines avant, un Français d’origine portugaise a été capturé plus à l’ouest, du côté de Kayes. Il servira au pire de bouclier humain, au mieux de monnaie d’échange. La paranoïa s’est emparée de la communauté blanche. Les mesures de sécurité ont été renforcées. Avant de partir, le chef de la mission m’a fait signer une décharge, au cas où il m’arriverait quoi que ce soit. J’ai décidé d’emmener une vieille connaissance, Ismaël, qui me servira de «fixeur». Je ne sais pas si c’est une bonne idée, car je le trouve bavard et prétentieux. Il a beaucoup changé depuis que je l’ai connu. Lui qui était si humble joue désormais les «reporters de guerre» et monnaye ses services aux chaînes de télévision étrangère qui passent par là.

Le matin, nous marchons tous les deux sur le tarmac, il a pris sa caméra, moi la mienne. Je l’écoute faire des blagues, je sais qu’il bluffe, qu’au fond de lui, il est comme moi, inquiet, car ce voyage n’est pas sans risque. L’avion est en bout de piste, à bord il y a une dizaine de places seulement. Je connais bien ces avions, les mêmes qui appartenaient avant à la compagnie Air Mali et m’emmenaient à Tombouctou, lorsque c’était encore une ville «touristique». A l’intérieur, je suis le seul Blanc. Tous mes voisins, du personnel d’Action  contre la faim ou  de la Croix-Rouge, sont africains. Ils ont tous le visage fermé. Personne n’est rassuré. Ils prient lorsque les hélices se mettent à tourner et que l’avion roule doucement vers le point de décollage. Puis il accélère et tape une dernière fois le tarmac pour prendre son envol.

Par le hublot, je regarde Bamako qui s’éloigne. Le fleuve Niger est là qui m’oriente. Au loin, je reconnais le palais présidentiel. L’avion monte doucement, secoué par quelques nuages, tourne doucement vers le nord. Le temps est maussade et, sur le trajet, nous sommes surpris par une légère tempête de sable. L’avion bringuebale et pique un peu du nez pour éviter les turbulences. A l’horizon, le ciel jaune devient de plus en plus sombre et menaçant. Le pilote prévient que le vol sera agité et nous demande de conserver nos ceintures attachées.

Quelques minutes plus tard, le petit aéronef est à nouveau fortement secoué, nous perdons soudainement un peu plus d’altitude. Mes voisins prient de plus en plus fort. Je suis terrorisé à l’idée du crash. J’aperçois la terre en bas qui se rapproche dangereusement. En face, les gros nuages noirs nous provoquent encore. Je vérifie ma montre, il nous reste 45 minutes de vol; «si nous passons ce mur, nous sommes sauvés», songé-je. Pour me rassurer, je me dis que l’immense plaine en dessous rendrait possible un atterrissage forcé. Reste à savoir combien de temps on survit dans un endroit aussi désertique, si loin des hommes. Est-ce qu’on nous retrouverait? Et si les djihadistes arrivaient avant les secours?  Mais finalement, au bout d’une demi-heure, l’avion entreprend sa descente, et soudain je discerne avec soulagement la piste de Mopti. Je reconnais la ville avec ses mosquées, ses maisons ocre et ses canaux verts. La terre est recouverte d’une herbe fine, car nous sortons de la saison des pluies. Le contraste entre ces rizières et la terre ocre autour est encore plus beau vu du ciel. Nous nous posons enfin, je sais qu’une partie du danger est déjà écartée.

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