Mediator: une affaire aux allures de guerre économique (1/3)

Le scandale du Mediator a valu aux laboratoires Servier en mars 2021 une condamnation à 2,7 millions d'euros d'amende pour «homicides et blessures involontaires» et «tromperie aggravée». En coulisses, il a permis à d'autres entreprises pharmaceutiques d’éviter des préjudices importants et de renforcer leur position sur différents marchés à plusieurs milliards de dollars. Un hasard? Enquête.

Mediator Mediator
Plaquette et cachets (comprimés) de Mediator, indiqué dans le traitement du diabète de type II. Produit par les laboratoires Servier, ce médicament contenait des substances toxiques responsables, selon les estimations, de plus de 2'000 morts et de milliers d'handicapés en France. © Keystone / Maxppp / Eugene Le Droff

Le Mediator restera dans les annales comme l’une des affaires qui a le plus violemment agité les sphères politico-sanitaires françaises. Au cœur de ce feuilleton du «médicament tueur», le benfluorex: une substance prescrite aux diabétiques en surpoids et commercialisée depuis 1976 sous le nom de Mediator par les Laboratoires Servier, numéro 2 de la pharma française derrière Sanofi-Aventis. A partir des années 1990, différentes études avaient établi que les cousines chimiques du benfluorex, la fenfluramine et la dexfenfluramine vendues sous les noms de Pondéral et Isoméride, pouvaient provoquer des valvulopathies et de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Autrement dit des pathologies cardiovasculaire et pulmonaire graves susceptibles d’entraîner la mort. Or les premiers signalements de ce genre d’affections sous Mediator avaient été portés à la connaissance de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) à la fin des années 1990. Mais alors que les coupe-faim Pondéral et Isoméride avaient été interdits de vente aux Etats-Unis puis en Europe en 1997, le Mediator n’avait été retiré du marché par les autorités de régulation françaises qu’en novembre 2009, soit douze ans plus tard. 

Comment le benfluorex avait-il pu passer si longtemps entre les mailles du filet et devenir le «coupe-faim du pauvre»? C’est autour de cette question que le scandale s’est noué, entraînant un impressionnant cortège de réactions et de mesures dans l’Hexagone. Entre autres un épais rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), deux missions parlementaires d’information avec des dizaines d’auditions, une réforme de l’administration sanitaire, l’institution de nouvelles lois, la mise en place d’un fonds d’indemnisation des victimes et une série d’actions en justice, dont une bonne partie est toujours en cours devant différents tribunaux. Tous ces rebondissements ont été suivis de près par les médias: quelque 70 articles sont par exemple consacrés à l’affaire sur le site Internet du Monde, plus de 170 sur celui de Libération et plus de 200 sur celui du Figaro. Un tableau accablant pour Servier a très vite émergé au fil des analyses, des enquêtes, des reportages, des rapports et des auditions: celui d’une firme habile et puissante, qui avait réussi à «enfumer» tout le monde grâce à un subtil réseau d’influence et de conflits d’intérêts au sein des administrations sanitaires. Parfaitement au fait de la nocivité de son produit, Servier était prêt à tout pour le maintenir sur le marché. Si personne n’avait rien pu (ou voulu) voir en 30 ans, c’était donc surtout à cause des méthodes perfides, voire crapuleuses de cette firme. 

Le problème de ce descriptif, c’est qu’il omet de s’interroger sur un point central: à qui le scandale a-t-il profité? Jean-Philippe Seta, à l’époque président opérationnel de Servier, a indirectement soulevé la question lorsqu’il a été entendu à huis clos au Sénat en mars 2011, dans le cadre de la mission d’information sur le Mediator. A cette occasion, celui qui était alors le bras droit de Jacques Servier (fondateur-directeur des laboratoires Servier décédé en 2014), a entre autres rappelé l’existence de «grandes multinationales anglo-saxonnes qui souhaitent notre disparition» sans pour autant citer de noms. Il s’est par ailleurs étonné que la «campagne médiatique» se soit «déchaînée» contre Servier un an après le retrait du médicament incriminé, à la faveur de fuites vers la presse. «Pourquoi cette accélération de l’histoire?» s’est-il interrogé. «Sans éluder notre responsabilité, concluait-il, considérer cette affaire comme la plus grande affaire mondiale de pharmacovigilance est certainement excessif. J’ai du mal à penser que ce ne soit qu’une coïncidence.» Faut-il voir dans ces propos une tentative de faire diversion en avançant une «théorie du complot», pour reprendre les termes de François Autain, sénateur du groupe communiste qui menait l’audition? Et peut-on accorder la moindre crédibilité aux propos d’un homme qui avait tant à perdre, et qui deux ans plus tard a été mis en examen pour «trafic d’influence», «escroquerie», «obtention indue d’autorisation», et «tromperie» avec «mise en danger de l’homme», avant d’être licencié en octobre 2013? Evidemment, les déclarations de Jean-Philippe Seta doivent être prises avec beaucoup de précautions. D’autant plus que ce dernier a reconnu n’avoir «aucune preuve» d’interventions en coulisses: «Je n’ai qu’un faisceau d’indices et qu’une intime conviction», a-t-il déclaré. Néanmoins, de nombreux éléments indiquent que ses affirmations n’étaient pas tirées par les cheveux et que la question d’une guerre commerciale menée contre Servier se pose bel et bien.

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