Les fantômes d’Iguala (2/2)

© Commission interaméricaine des droits de l'homme
Au Mexique, le nombre 43 est devenu le symbole des disparitions forcées. Des actes récurrents  dans ce pays en raison des nombreux gangs et de la corruption au sein de la police.

Le gouvernement affirme avoir trouvé la «vérité historique» qui se cache derrière la terrible nuit de violence d’Iguala. Mais les preuves laissent à penser que l’Etat ne révèle pas tout ce qu’il sait.

L’après-midi est clair et lumineux ce 12 janvier 2015, quand quatre bus pilent devant la base du 27e Bataillon d’infanterie de l’armée mexicaine. Nous sommes au sud de l’Etat du Guerrero; quatre mois plus tôt, 43 étudiants ont disparu, la plupart embarqués de force dans des véhicules de la police municipale lors d’une nuit de fusillades et de meurtres dans la ville d’Iguala. La plus grande partie des kidnappés a été capturée à un carrefour à moins de trois kilomètres des baraquements militaires du 27e. Des centaines de parents et de camarades de l’Université pédagogique d’Ayotzinapa se sont réunis là pour protester. Ils veulent des réponses. Mais pas seulement… Ils veulent pénétrer dans la caserne.
– Nous sommes venus demander la libération de nos enfants, hurle l'un des pères. Vous savez où ils sont.
– Rendez-nous nos fils! crie un autre. 

Un camion fait vrombir son moteur et enfonce la grille d’entrée du campement. Les parents tirent sur les barbelés; des jeunes gens, le visage emmitouflé dans des t-shirts ou des bandanas, s’engouffrent dans la brèche. Face à eux, des centaines de soldats et de policiers. Les pierres volent. Les bouteilles pleuvent. Des détonations résonnent, le gaz lacrymogène envahit la zone. Un hélicoptère militaire tournoie au-dessus de la scène. Les parents reprennent tous en chœur le chant qui est devenu leur cri de ralliement.
– Ils ont été enlevés vivants, nous voulons qu’on nous les rende vivants. 

Depuis la disparition des 43, leurs proches n’ont eu de cesse de réclamer leur retour. Même s’il est improbable que les jeunes gens soient encore en vie, les parents ont attiré l’attention générale sur les nombreuses incohérences de la version officielle des événements et souligné la répugnance du gouvernement à faire part de toutes les informations en sa possession. Nous avons enquêté pendant six mois sur le rapport officiel du gouvernement, notamment sur une partie des dossiers sous scellés établis par le Ministère public du Mexique – la Procuraduría General de la República (PGR). Tous les témoignages d’officiers de police et de membres de gang soupçonnés d’avoir participé aux événements d’Iguala y figurent. Nous avons eu accès aux rapports de communication des forces de sécurité de la région et mené des dizaines d’entretiens notamment avec des étudiants qui ont survécu à cette nuit de violence. Nous avons également analysé des mois de reportages réalisés par les journalistes d’investigation mexicains. Notre enquête met en exergue tous les efforts du gouvernement fédéral pour rejeter les responsabilités sur des acteurs mineurs, la plupart à l’échelon municipal. Pourtant, un large faisceau de preuves dessine un cercle bien plus large de complices et d’instigateurs. Les hauts fonctionnaires de Mexico ont esquissé le scénario étriqué d’un kidnapping de masse commis par des policiers locaux et qui s’est achevé en tuerie par la faute de quelques criminels de la région d’Iguala. Mais des éléments enfouis dans les propres dossiers du gouvernement indiquent que ce n’est pas le cas. Nous serions plutôt confrontés à un cas de disparitions forcées qui, contrairement au kidnapping, implique la participation, active ou passive, d’acteurs étatiques! Au regard du droit international, cela peut constituer un crime contre l’humanité. 

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