Tout commence comme un remake de l’histoire de l’ancien officier britannique devenu romancier sous le pseudonyme de «John le Carré». Début 1985, des indiscrétions dans la presse australienne font état de la parution prochaine des mémoires de Peter Wright. Du contenu de son livre, on ne sait alors que peu de choses, si ce n'est que ce scientifique, recruté en 1954 par les Services de contre-espionnage britannique (MI5), a dirigé une trentaine d’officiers du département Intérieur (Departement D) et accuse l’un de ses ex-collègues, Sir Roger Henry Hollis, d'avoir été un agent secret à la solde de l'Union soviétique. Directeur du MI5 de 1956 à 1965, Hollis est mort plus de dix auparavant, en octobre 1973.
Voilà longtemps que les Britanniques ne nourrissent plus guère d'illusions sur l'étanchéité de leurs services secrets. Les détails des trahisons des Magnificent Five ou les Cinq de Cambridge (cinq anciens étudiants de l’Université de Cambridge recrutés par le NKVD – futur KGB – durant les années 1930 qui travaillèrent ensuite pour le compte de l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide: Kim Philby, Guy Burgess, Donald McLean, Anthony Blunt et John Cairncross) sont connus du public depuis les années 50. Le Tout-Londres sait que d'autres taupes sommeillent à la direction du renseignement britannique. Parmi elles, le directeur général du service chargé de la sécurité intérieure, Sir Roger Henry Hollis. Les accusations de Peter Wright à son encontre ne sont donc ni nouvelles ni sensationnelles. Pourtant, il doit bien y avoir autre chose dans son livre, puisque sa parution semble embarrasser jusqu'au Premier ministre de l’époque, Margaret Thatcher. A l'évidence, celui qui était chargé jusqu’à sa retraite de traquer les espions du KGB à l'intérieur du MI5 détient des secrets du royaume. Son bureau jouxtait celui de Sir Roger Henry Hollis, au quartier général de l'agence de contre-espionnage à Leconfield House, puis à Gower Street.
En 1976, Peter Wright a quitté les brumes de Londres pour les cieux plus accueillants de la Tasmanie afin d'y finir ses jours. On n'aurait plus jamais entendu parler de lui si, poussé par Dieu sait quels démons, il n'avait décidé de rédiger ses mémoires pour les porter à la connaissance de ses contemporains. Prudent, Peter Wright décide de confier le sort de son manuscrit à un éditeur australien. L'ancien responsable scientifique connaît la redoutable efficacité de son ex-employeur dès lors qu'il s'agit d'empêcher la parution de toute information concernant les Services secrets de Sa Très Gracieuse Majesté. Il croit à tort être à l'abri de toute pression en publiant en dehors du Royaume-Uni. En effet, le cabinet de Margaret Thatcher porte immédiatement plainte contre Peter Wright auprès d'un tribunal australien afin d'empêcher la parution de ses mémoires. Le procès qui s'en suit retiendra l'attention des Britanniques l'espace d’un automne. Les quotidiens londoniens en retracent les péripéties à la une, à tout le moins quand les audiences ne se déroulent pas à huis clos. Le gouvernement conservateur semble animé d'un seul désir: empêcher à tout prix que le contenu du livre soit rendu public, sous quelque forme que se soit. Pourquoi? Sûrement pas pour protéger la mémoire de Sir Roger Henry Hollis, son rôle d’agent double ayant été révélé cinq ans auparavant, en 1981, par le journaliste Chapman Pincher dans son livre de Their trade is treachery (Leur métier est la trahison). Par la suite, Pincher, dont la source n’était autre que Peter Wright, a même reconnu avoir obtenu l'imprimatur du MI5 pour la publication de son ouvrage. Alors pourquoi? Certes, il n'est pas banal de voir un haut responsable du contre-espionnage accuser son ancien chef d'avoir travaillé avec l'ennemi… Mais il y a évidemment autre chose dans l’ouvrage de Peter Wright, quelque chose de plus préjudiciable pour le MI5 que le fait d'avoir eu à sa tête un agent soviétique. Peter Wright fait surtout des révélations sur une affaire peu banale: Clockwork orange II (Orange mécanique II). Si son nom de code est inspiré d'un ouvrage d’Anthony Burgess, l’opération elle-même semble sortir droit d'un roman d'Orwell.