Les douze coups de minuit (1/5)

© Edward Malindine
Quatre parachutistes de la 6e division aéroportée britannique synchronisent leur montre aux environs de 23 h, le 5 juin 1944, avant leur départ pour la Normandie.

Le 6 juin 1944, l'une des plus importantes armadas de l'histoire s'approche des plages de Normandie, solidement défendues par la nazis. C'est le D-Day que nous racontent avec leurs mots les acteurs du débarquement.

Denis Edwards et ses camarades reçurent l’ordre d’embarquer vers 22 heures. «O.K. les gars, aboya John Howard, montez dans les planeurs.» Tous étaient soulagés de passer enfin à l’action. Ils avaient occupé les dernières heures à vérifier et revérifier leur équipement, à boire encore des litres de thé (pour une fois coupé de rhum) et à se succéder aux toilettes. Wally Parr remarqua en effet que «tout le monde pissait comme des vaches». Ils s’étaient enduit le visage de graisse, et avaient ajouté du noir de bouchon brûlé pour se foncer encore plus la peau. Parr fit preuve de son manque de tact légendaire en tendant le bouchon à l’un des deux soldats noirs de la compagnie, le deuxième classe Baines, surnommé «Darkie» (Noiraud). «Je crois que je peux m’en passer», dit Baines. Dans la fraîcheur d’un crépuscule toujours pluvieux, Parr inscrivit à la craie les mots «Lady Irene» sur le côté de son appareil, en hommage à sa jeune épouse. Il rejoignit ensuite Edwards et les autres à l’intérieur du fragile planeur fait de toile tendue sur du contreplaqué, qui allait, en théorie, les emmener en France. Les trente hommes (plus John Howard) partageaient l’honneur tout relatif d’occuper le planeur de tête qui serait à l’avant-garde de l’attaque du pont de Bénouville. Ils auraient l’appui de soixante hommes qui devaient atterrir une ou deux minutes après eux dans les deux autres planeurs. Trois détachements supplémentaires avaient pour mission de s’emparer du pont de Ranville. John Howard inspecta les appareils et fit quelques dernières recommandations à ses hommes. «La rapidité est le facteur clé, leur rappela-t-il. Nous devons prendre ces ponts, et nous devons les garder.» Il leur adressa un bref sourire. «A tout à l’heure les gars. N’arrivez pas en retard.» Les hommes accueillirent ces paroles par des plaisanteries et des fanfaronnades. «Bonne chance! se crièrent-ils les uns aux autres. On se retrouve là-bas!» Ils connaissaient parfaitement les risques qu’ils couraient et ne se privèrent pas de faire de l’humour noir en se harnachant.

«S’ils les doublaient de satin, dit l’un d’entre eux, ça serait parfait pour nous enterrer tous à l’intérieur.» Seuls les deux pilotes, Jim Wallwork et John Ainsworth, gardaient le moral et se voulurent rassurants: «Même si on perd une aile ou deux, on se posera près de nos cibles.» Ils promirent à leurs passagers «de terminer le trajet la tête en haut», mais avec une telle insouciance qu’ils ne convainquirent pas grand monde. Il était près de 22 h 35 quand tout le monde fut sanglé dans les Horsa gliders, les planeurs qu’ils appelaient en plaisantant hearse-gliders, par analogie avec le mot «corbillard». Edward sentait «une forte tension» chez tous les hommes, et admit que lui-même avait «de plus en plus peur». Wally Parr était lui aussi très angoissé. Il y avait de l’électricité dans l’air, «comme deux boxeurs dans une salle qui donnent des coups dans le vide en sautillant l’un autour de l’autre avant de lancer l’assaut». Personne ne voulait trahir sa peur, mais Howard lui-même avoua plus tard avoir eu «une énorme boule» dans la gorge. A 22 h 56, le régime du moteur de l’avion remorqueur Halifax augmenta, le bourdonnement s’amplifia et devint un grondement assourdissant. Edwards avait mal au cœur. «Mes muscles se tendirent, un frisson me monta dans le dos, j’étouffais et j’avais des sueurs froides.» Le sort en était jeté. Ils décollaient. Ils ne pouvaient plus revenir en arrière. Le Halifax prit de la vitesse et les hommes se préparèrent à la brutale secousse du câble de remorquage qui se tendait en atteignant la tension maximale.

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