Moatti Lelandais Moatti Lelandais
Le père de Maëlys, Joachim de Araujo, et sa femme, Jennifer, lors d'une conférence de presse à Lyon le 28 septembre 2017. © Keystone / AP Photo / Laurent Cipriani

Une silhouette frêle (3/4)

Michel Moatti a suivi le procès de Nordahl Lelandais, meurtrier d’un jeune militaire et de la petite Maëlys. Pendant que l’accusation prend d’assaut cette forteresse de dénégations, la défense se débat, l’accusé reste inflexible. Extrait de «Rapport sur Nordahl L.» paru aux Editions Hervé Chopin.

– Ce type, c’est modus et bouche cousue, lâchera un enquêteur, déjà honteux de son mauvais calembour.

Le suspect a un schéma directeur tout simple, dont il ne varie pas: il repère, approche, tue et file dans la montagne se débarrasser du corps. Ensuite, quoi qu’il se passe, il se tait. Pas un mot. Si on l’interroge, il nie en bloc. Toutes les charges s’effritent devant lui. Il a réponse à tout. En quelques secondes, au cours des interrogatoires, Nordahl Lelandais trouve des parades aux questions les plus embarrassantes. Il ricane. Un peu. Quand on lui parle des recherches en cours, il pense: Ouais, je la connais... Avis de recherche: Monsieur Propre a disparu sans laisser de traces! Il rit dans sa tête, sent que personne ne va rire. Il reprend sa position avachie et narquoise. «Ce que j’ai dit, c’est ce qui s’est passé...» répétera-t-il devant les assises de Chambéry. Invariable. Imperturbable. Indémontable. Au président, aux parties civiles, à l’avocate générale, à son propre avocat, il lancera de sa voix étouffée par le verre épais de son box: «Ce que j’ai dit, c’est ce qui s’est passé.» Tout le monde finira par se détourner, excédé par cet entêtement à la fois arrogant et pitoyable. Il s’accrochera jusqu’au bout à sa «vérité», ce nom qu’il donne à ses mensonges. La famille de Maëlys ne s’y trompera pas. Jennifer De Araujo me confiera à l’issue des premières prises de paroles de Nordahl Lelandais aux assises de Savoie: «Le procès pour Arthur nous bouleverse, nous torture, et nous laisse imaginer ce qui nous attend.» Oui: il répond à tout. Parfois après une ou deux secondes d’hésitation, parfois presque du tac au tac, comme s’il avait tout un tas de réponses bien rangées dans des petites boîtes, comme les mouches de mai dans la musette d’un pêcheur. Pourquoi met-il brusquement son portable en mode avion, juste à l’heure où disparaît Maëlys? N’est- ce pas ce qu’il a déjà fait la nuit de la disparition du caporal Arthur Noyer? Ses deux téléphones coupés, avant de plonger dans le silence du col de Marocaz.
– Pour économiser la batterie: la fête n’était pas finie et j’avais besoin de mon portable...
– Vous avez bougé votre véhicule vers 3 heures du matin? 
– J’vous dis que je chargeais mon portable. J’étais sur le parking...
– A 3 heures?
– Ouais.

On passe à d’autres questions. Sans penser à Monsieur Propre, un enquêteur lui demande pourquoi il a lavé sa voiture, juste après la disparition. Pourquoi surtout il l’a lavée aussi soigneusement.
– J’étais sur le point de la vendre. J’avais un acquéreur. On devait se voir incessamment-souper pour finir l’affaire. Une A3, c’est pas un Kangoo: ça se bichonne pour négocier...

Il est si sûr de lui qu’il a envie d’en ressortir une bien bonne. Il se retient. Se contente de répéter: Une A3, ça se bichonne... Aller au lave-auto, c’est quand même pas un crime, en république? Si? Plus tard, sur ce point précis du lavage du véhicule, le colonel Patrick Touron, directeur de l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN), expliquera que ses hommes ont procédé à l’examen de huit cents heures de vidéosurveillance de la station de lavage auto, et qu’ils s’étaient rendu compte que le véhicule de Nordahl Lelandais avait été «non pas nettoyé, mais fait l’objet d’un travail systématique de destruction d’éventuels indices». Ce sera l’une des constantes du mode opératoire de Lelandais: il s’acharne à effacer les traces. L’avocate générale le relèvera aux assises: «On ne sait pas. Parce qu’il a fait en sorte que l’on ne sache pas.» Bien. Les enquêteurs passent à la question suivante:
– Pourquoi mettre son portable «en mode avion de 2h46 à 3h25?» la nuit de la disparition?
– Ben, je vous l’ai dit: pour économiser la batterie!

Est-il bien nécessaire d’économiser sa batterie à 3 heures du matin? Les enquêteurs noteront pourtant que la batterie de Nordahl Lelandais est alors «chargée à 68 %». Pourquoi s’est-il débarrassé de son bermuda la nuit de la disparition? Y avait-il dessus des traces compromettantes, qui le rattacheraient à Maëlys?
– Pas du tout: j’avais bu un peu plus que raisonnable. C’était un mariage, hein! Et j’ai... ben, j’ai vomi sur moi. Je suis rentré me changer.

Ce qui expliquerait ces allers-retours singuliers, après 3 heures du matin, entre Le Pont-de-Beauvoisin et son domicile? Quand on quitte une noce à cette heure-là, en général, c’est pour aller se coucher, pas pour revenir une heure plus tard.
– Exactement, mais là, je me suis juste changé et je suis retourné au mariage. Nickel chrome.
– Mais jette-t-on pour autant dans la nature un short taché? Se débarrasse-t-on de ses habits à chaque fois qu’ils sont sales?
– Oui, c’est ma mère qui me lave mes affaires: je tiens pas à ce qu’elle croie que je conduis un peu bourré et que je me gerbe dessus, quand même...

Vient la vraie colle, celle que les enquêteurs gardaient sous le coude pour la jouer en fin de partie: pourquoi cet ADN, celui de Maëlys sur le tableau de bord de son A3? Nordahl Lelandais a à peine frémi. A peine hésité. Dix secondes? Douze secondes? Il a lancé, d’une voix qui ne tremblait que dans ses périphéries:
– Bah, c’est normal: la gamine elle jouait au foot avec un mioche, un petit blond. Et moi, j’avais laissé les vitres ouvertes, à cause de la chaleur. Le ballon est parti dans la bagnole. Elle a été le rechercher. Voilà.

Les enquêteurs se sont regardés, par en dessous – sans se faire trop remarquer. Oui, il trouve des parades à toutes les questions. La seule question sur laquelle il bute un peu, c’est celle concernant les caméras de surveillance: comment explique- t-il cette silhouette sur le siège passager, cette silhouette frêle, manifestement celle d’une fille ou d’une très jeune femme, de petite taille, vêtue d’une robe blanche à bretelles? A l’heure où il prétend être sur le parking, pendant que son téléphone se recharge? Silence. Pour une fois, silence. Motus. La roue tourne dans la tête du suspect. Il cherche, mais ne trouve pas. La réponse est pourtant simple:
– Je ne sais pas, moi... Il n’y avait personne dans ma bagnole.
– Seul ou pas seul... Mais vous n’étiez pas sur le parking, alors?

La roue tourne encore un peu, va s’arrêter. Le suspect relève la tête. Il sait, à présent. Dans un sourire, il jette:
– C’était pas ma bagnole, voilà... Sur les caméras, c’était pas ma bagnole. Vous savez combien il y a d’Audi A3 en Rhône-Alpes?

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