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© Philippe Lopez / Agence France Presse

«Le World Press Photo doit continuer à innover»

En dépit de la multiplication des récompenses liées au photojournalisme, le World Press Photo reste le prix le plus connu au monde. Entretien avec Michiel Munneke, directeur sortant de l'institution.

Dans la nuit bleutée par le clair de lune, des silhouettes, bras tendus vers un ailleurs inaccessible. L’image de ces clandestins, prise par l’Américain John Stanmeyer, tentant de capter le réseau somalien depuis une plage de Djibouti, a reçu le World Press Photo de l’année 2013 en février 2014.

Une photographie plus poétique, plus subtile aussi, que nombre de celles, si remarquables soient-elles, primées depuis 1955, date de la naissance du prix néerlandais. Ainsi l’inoubliable et terrible visage d’Omayra, enfant colombienne à l’agonie dans les décombres de sa maison, World Press de l’année 1985, ou les emblématiques madones d’Algérie (1997) ou du Yémen (2011).

Près de soixante ans après sa création, le World Press Photo a su évoluer, multipliant les catégories et les formats multimédia. Son directeur général, Michiel Munneke, (en poste de 2001 à novembre 2014), s’est confié sur l’institution qu’il a intégrée comme stagiaire en 1994.

Depuis que vous êtes directeur, qu’est-ce qui a le plus changé?
La quantité de photos envoyées. Il y a 12 ans, c’était 30’000, aujourd’hui on dépasse les 100’000. Mais à mes yeux, le changement le plus révélateur est leur provenance. Nous avons aujourd’hui des participants de 124 pays, ce qui fait du World Press Photo la seule compétition véritablement mondiale.

Comment expliquez-vous que ce prix reste si populaire?
Qu’il s’agisse de la composition du jury, des masterclass, du catalogue annuel, la qualité est le critère prépondérant dans tout ce que nous produisons. Le public attend et apprécie cette qualité. Et puis, nous avons soixante ans d’expérience derrière nous. Ce prix, c’est toute une organisation. Savez-vous que trois millions de personnes voient notre exposition itinérante chaque année? Mais c’est vrai, c’est pour nous une grande fierté que le catalogue s’écoule à 35’000 exemplaires. Cela ne paraît pas énorme, mais c’est un record si l’on considère qu’un ouvrage de photographie classique se vend bien lorsqu’il dépasse les mille exemplaires! Bon, je ne vous parle pas de photographes populaires comme Yann Arthus-Bertrand ou Sebastião Salgado

Aux yeux de beaucoup, le World Press est synonyme de conflit, de guerre, d’horreur… N’est-ce pas réducteur?
Il est certain que l’image gagnante reçoit beaucoup d’attention. Il est parfois dommage que l’intérêt qu’elle suscite soit au détriment des différentes catégories, dont certaines valorisent des œuvres très positives. Mais il est indéniable que les gens gardent en tête le 30% d’images visuellement choquantes. C’est regrettable, mais c’est ainsi. Je dirais également que les photos envoyées dans les catégories sports et nature sont d’un niveau inférieur aux autres. Enfin, je me dois de respecter la décision finale du jury!

Si vous deviez choisir un gagnant parmi ceux de ces dernières années?
Eh bien… Ce serait le gagnant 2007, la photographie de Spencer Platt prise au Liban en août 2006 (qui montre des jeunes en décapotable dans un quartier de Beyrouth occupé par le Hezbollah au lendemain d’une attaque israélienne, ndlr). Je la trouve très intéressante parce qu’elle ne donne pas de réponse directe. Elle montre une attaque dévastatrice, mais aussi la culture de la jeunesse libanaise. Certains ont parlé de mise en scène. Quant aux personnes photographiées, elles n’étaient pas contentes. Elles avaient peur de passer pour des voyeurs. Enfin, elle est magnifiquement composée. J’étais à la fois excité et soulagé par le choix du jury.

Le prix n’est pas exempt de polémiques. L’image d’enfants morts à Gaza prise par le Suédois Paul Hansen, couronnée en 2013, a été soupçonnée de manipulation, et de nouvelles règles ont été édictées.
C’est un cas très regrettable, qui montre combien il est délicat pour un photographe de travailler dans certaines conditions. Les critiques ont parlé de photoshop, de détournement. Nous avons mandaté des experts américains et néerlandais pour une analyse scientifique. Ils ont conclu que l’une des images envoyées avait été traitée à l’excès sur le plan du contraste et de la saturation. Mais il ne s’agissait pas d’une manipulation. Pour Paul Hansen, qui est un photographe très intègre, toute la polémique a été très dure à vivre. Même son rédacteur en chef s’est mis à douter de sa bonne foi.

La photographie de presse est-elle à l’agonie, comme nous l’entendons si souvent?
Je ne le pense pas. Il est aujourd’hui si facile de produire et de distribuer des images. Il est vrai que les photographes doivent faire face aux difficultés actuelles que traverse le marché, ils ont du mal à être payés correctement. Et puis, ils doivent apprendre de nouvelles techniques: la vidéo, le son… Cela nous pousse, nous tous qui travaillons dans le domaine de la photographie de presse, à nous interroger sur ce qu’elle est et son avenir.

Justement, vous avez ouvert le prix au domaine du multimédia.
Il y a quatre ans, en effet. Certains membres du conseil d’administration étaient contre, mais nous nous devons de rester pertinents, d’être novateurs tout en continuant à proposer une plateforme à l’industrie de l’image. Le multimédia est un territoire nouveau. Ce prix nous permet de mettre en avant des travaux exceptionnels comme le webdoc Alma, une enfant de la violence.

Le World Press existera-t-il toujours dans vingt ans?
Cela ne dépendra pas de moi. Mais s’il est bien géré, oui.

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Michiel Munneke © Stephan Vanfleteren