A la recherche des origines de l'humanité

© Gael Cérez
Exploration de la petite grotte de Drotski.

Dans les collines désertiques des Aha en Namibie se cachent peut-être les traces d'un des berceaux de l'humanité. Au printemps 2016, une expédition française a voulu en avoir le coeur le net. Récit d’une exploration aux confins de ces terres inhabitées.

Bâtons de marche et machettes à la main, trois hommes progressent en file indienne parmi les acacias et la broussaille. Avant de s'enfoncer dans le bush qui recouvre les collines à la frontière entre la Namibie et le Botswana, ils ont laissé un mot en anglais sur le tableau de bord de leur 4x4: «Il est midi. Nous cherchons la grotte nord de Waxhu. Nous reviendrons.» La piste qui mène au village de Xaxa, quinze kilomètres plus loin, n'est pas très fréquentée, mais un véhicule abandonné sur le bas-côté pourrait inquiéter les rares automobilistes ou susciter des convoitises. Autant s'en prémunir.

La grotte n'est qu'à deux kilomètres de la piste. Une chance, car le matériel de spéléologie pèse lourd. Une corde de 100 mètres enroulée sur les épaules, Laurent Bruxelles, le chef d'expédition, ouvre la voie à coups de machette. En dehors des sentes et des clairières où s'entassent des troncs arrachés par les éléphants, la progression est malaisée. Derrière, Marc Jarry et Grégory Dandurand, ses deux compagnons, suivent le train, l'eau et les provisions en bandoulière. Le taux d'humidité est presque nul. Il fait 34 degrés. Les gouttes de sueur ne s'attardent pas sur les fronts. La déshydratation n'est jamais loin dans les arides collines des Aha.

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Piste ensablée à la frontière entre la Namibie et le Botswana. © Gael Cérez

D'après le GPS, la caverne n'est plus qu'à cinquante mètres. Le terrain commence à descendre vers la dépression d'entrée quand Marc se fige. Dépassant d'une bonne tête Laurent, qui scrutait le sol pour éviter les serpents, le scientifique français n'en croit pas ses yeux. Devant lui, deux félins à la robe fauve s'évanouissent dans les feuillages en bondissant. Leur taille et leur morphologie ne laissent aucun doute, ce sont deux lionnes fuyant l'odeur des hommes.

Le vent tourne et ramène les forts effluves des bêtes aux narines des explorateurs. Moment de doute. Faut-il continuer et gagner la grotte si proche ou au contraire rebrousser chemin? Le rapide conciliabule tourne à l'avantage de la seconde solution. «Les lionnes sont parties tranquillement en nous entendant, mais elles pourraient revenir, concède Laurent. Elles devaient prendre le frais à l'entrée de la grotte. Il y a peut-être un mâle et des petits. Si nous y entrons ce midi et qu'elles reviennent entre temps, comment ferons-nous pour ressortir à la nuit tombante? La science s'arrête là où il y a des lions.»

Une semaine avant de déranger les deux lionnes, Laurent, Marc et Grégory, trois scientifiques français rattachés à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et au Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), ont atterri à Johannesburg, 1'000 kilomètres plus à l'est du gouffre de Waxhu Nord. La première étape de leur expédition les a menés dans la vallée de Bloubank, à une heure de route de la capitale économique d'Afrique du Sud.

Laurent Bruxelles, géomorphologue à l'Inrap et au CNRS, explore avec son équipe les collines des Aha, à la frontière de la Namibie et du Botswana à la recherche des origines de l'humanité.

Sterkfontein, une grotte mythique pour les amateurs de paléontologie. C'est là qu'a été retrouvé en 1991 le fossile de Little Foot, un australopithèque vieux de 3,7 millions d'années. Laurent Bruxelles connaît bien son histoire. En 2007, il a intégré l'équipe du paléoanthrologue sud-africain Ronald J Clarke – le découvreur du fossile – pour aider à dater le vestige. Une quête de huit années qui a abouti en 2015.

Le pèlerinage terminé, direction les collines des Aha, 245 km2 de petites élévations semi-désertiques que les guides de voyage ne recommandent que pour leur éloignement. Atteindre le premier bivouac, à 25 kilomètres de Namtakwarra, dernier village référencé, est un long périple. Deux heures d'avion de Johannesburg à Windhoek, la capitale namibienne. Une matinée pour louer le 4x4 et charger les 400 kilos de matériel, de vivres et d'eau. Une journée et demie de voyage sur 800 kilomètres de route, dont 300 de pistes poussiéreuses. Une nuit sans lune est tombée quand l'équipe bifurque sur une étroite voie carrossable. Sans la boussole du GPS, difficile de ne pas se perdre dans cette mer de hautes herbes balayées par les phares du 4x4.

Après de longues minutes de cahots, un baobab se dresse soudain dans l'obscurité. Au pied du géant, les tentes fixées au toit du véhicule sont rapidement dépliées. L'air encore chaud bruisse de mille stridulations. Comme l'avant-veille en Afrique du Sud, les ricanements de quelques hyènes résonnent dans le lointain. Une étrange impression, mêlée de solitude, de crainte et de quiétude, gagne les membres de l'expédition. Bientôt, un feu de branches mortes repousse les ombres à bonne distance dans un crépitement d'étincelles. Regroupés autour du foyer, Laurent, Marc et Grégory évoquent la colline qui s'étend juste derrière le premier rideau d'arbres. «Lors de notre première visite fin 2015, nous l'avons baptisée “colline du léopard”, car nous y avons trouvé des empreintes, explique Laurent Bruxelles. Demain, nous finirons de l'explorer, puis nous passerons aux suivantes.»

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Laurent Bruxelles décrit la découverte de Little Foot dans le site de Sterkfontein, au nord-ouest de Johannesburg.

Outre des anfractuosités et des fossiles d'hominidés, l'équipe recherche également des vestiges plus récents. «A 20 mètres de nous s'étale un site du “Middle Stone Age” (MSA), une grande étape de la préhistoire africaine», ajoute Marc Jarry, le préhistorien de la bande. Joignant le geste à la parole, le spécialiste des dynamiques de peuplements au cours du Paléolithique se lève et s'enfonce dans la nuit. L'instant d'après, il revient triomphant, une petite pierre dans la main. «C'est un éclat taillé par l'homme, il y a entre -400'000 et -50'000 ans. Il a pu servir à travailler le cuir ou à couper de la viande, affirme le chercheur de l'Inrap. Ici, on a une espèce d'usine à outils, car les hommes de cette époque y trouvaient de la matière première, du quartzite en l'occurrence. Sur le fleuve Zambèze, au nord-est, 40 pièces équivalentes ont été retrouvées. Ici, il y en a des milliers. C'est pour cela que notre projet porte sur "les" origines de l'humanité.»

A l'aube, Grégory est le premier à sortir la tête de sa tente. Près des cendres encore chaudes du foyer, la cafetière se met rapidement à fumer. Vers 7 h, deux hommes accompagnés d’enfants et d’un chien arrivent par un sentier. Venu d'un hameau situé à un kilomètre, ces Sans viennent collecter le prix de la nuit passée au campement. Plus connus sous le vocable colonial de Bochimans, ce sont les habitants les plus anciens de Namibie. Persécutés, puis marginalisés par les autres populations, ils vivent principalement dans le désert du Kalahari, dont les Aha constituent les premières marches. Une conversation dans un anglais incertain mâtinée de claquements de langue s'engage. Retourner les sourires à ces gens calmes et discrets deviendra un des rituels matinaux de ce premier bivouac.

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Le camp du baobab. © Laurent Bruxelles

Le soleil est déjà brûlant quand le groupe se met en branle. Par précaution, bâtons et machettes tintent sur les arbres et les rochers. Une règle de marche imposée par les habitants du bush. Entre les buissons se dressent de grandes toiles d'épeires fasciées, une araignée dont la morsure, bénigne pour l'homme, n'en est pas moins douloureuse. En outre, le sous-bois abrite des scorpions, des pythons, des crotales et surtout des mambas noirs, le serpent le plus redouté d'Afrique pour sa vitesse et la létalité de son venin. La première rencontre avec un reptile ne tarde pas. Dans une mare, un python de plusieurs mètres de long digère une proie qu'il vient d’engloutir.

Une sagaie à portée de main, les deux Sans qui l'ont débusqué surveillent l'animal d'un air inquiet. Laurent en profite pour s'informer sur les cavernes de la région. «Il y en a une près du Dancing spot, répond Isaac, l'un des autochtones. C'est un lieu de fêtes traditionnelles où nous nous rendons parfois de l'autre côté de la frontière.» L'équipe comptait déjà se rendre sur ce site situé à une quinzaine de kilomètres à vol d'oiseau. Le poste-frontière étant plus au nord, il faudra une bonne journée de voiture pour s'y rendre.

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© Gregory Collavini

Alors que le python se replie au fond de son trou d'eau croupie, la troupe reprend son exploration. Laurent Bruxelles et Grégory Dandurand cherchent des entrées de grottes au pied de la petite falaise qui façonne la colline et étudient la géologie du site. Au pied des éboulis, Marc Jarry scrute le sol, en quête d'éclats ou d'outils façonnés au cours de la préhistoire. Deux petites cavités sentant la bête et plusieurs sites lithiques sont repérés. Les scientifiques marquent leurs positions sur leur GPS. «Avant que les Américains ne libèrent le signal, nous naviguions à vue lors des diagnostics, rappelle Laurent Bruxelles. La précision est de deux mètres à présent. C'est une aide à la prospection inégalable, car, dans une végétation aussi dense qu'ici, on peut passer à côté d'un trou sans le voir.»

Marc Jarry, le paléontologue de l'équipe, explique le Middle Stone Age.

Le lendemain, l'équipe décide d'explorer un promontoire à huit kilomètres dans la savane. Celle-ci est en partie recouverte d'acacias aux épines longues comme des épingles à couture ou courtes et recourbées comme des hameçons. Tibias et avant-bras se couvrent bien vite d'estafilades au cours de cette randonnée aux résultats peu concluants. Au troisième matin, le camp est levé. Direction le Botswana pour explorer la grotte du Dancing spot. Le long de la piste gravillonnée, une carrière attire l'attention de Laurent et Grégory, les deux géomorphologues de l'équipe.

Une rapide inspection révèle un site rempli d'éclats et d'outils datant du MSA. «Cela mériterait une fouille approfondie», rêve Marc Jarry. Une prochaine fois peut-être, car la route est encore longue. L'équipe a prévu de faire étape dans une auberge près de l'Okavango pour recharger les batteries des machines et des hommes. L'embouchure du plus grand delta intérieur au monde se situe à 150 kilomètres de notre premier bivouac. Le détour en vaut-il la peine? Du point de vue scientifique, l'Okavango indique le niveau de base des nappes phréatiques de la région, une information utile pour bien comprendre la formation des grottes. Du point de vue humain, la perspective d'une vraie douche, d'un bon repas et d'un lieu où donner des nouvelles aux proches est plus important encore.

Au bord d'un méandre, le cadre de l'auberge est magnifique. La nuit, tout près du jardin, un jeune crocodile d'un mètre de long vient se reposer sur la rive.

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Lever de soleil sur l'Okavar. © Gael Cérez

A l'aube, le lever de soleil est salué par les chants de milliers d'oiseaux. Bleu du ciel. Vert des roseaux. Sombre lit limoneux de la rivière où coule pourtant une eau claire. Les couleurs sont vives. Pures. L'Okavango est l'un de ces lieux qu’on ne voudrait jamais quitter. Il le faut pourtant, car un autre endroit majestueux attend la petite troupe 250 kilomètres plus au sud. Revenant sur leurs pas, toujours au Botswana, les trois scientifiques atteignent les grottes de Drotsky lundi 2 mai 2016 vers midi. Nichées à la base d'une colline rocheuse isolée dans le désert du Kalahari, ces deux cavernes ont été découvertes en 1934 par un fermier européen, Martinus Drotsky, qui leur a donné son nom. Bien avant lui, les Sans appelaient ce lieu «Gcwihaba», le trou des hyènes. Des recherches archéologiques menées en 1991 ont mis au jour des traces anciennes d'occupation humaine qui ont conduit l'UNESCO à classer le site

Les deux anfractuosités ont un réseau labyrinthique important, mais ne présentent pas de difficulté majeure. Pour s'y aventurer, un casque, une lampe, des gants suffisent. Sans oublier surtout un masque filtrant. Le sol est en effet recouvert d'une couche de poudre grise qui, au moindre pas, s'envole en fines volutes. Ces poussières sont le résultat de centaines, voire de milliers d'années d'occupation des lieux par une importante colonie de chauves-souris. Au fur et à mesure que le groupe s'enfonce dans les galeries, pipistrelles et rhinolophes sont de plus en plus nombreuses à s'affoler dans les faisceaux des torches. Parti en éclaireur, Grégory Dandurand, le second spéléologue de l'équipe dévale une longue pente de fines déjections. «C'est de plus en plus grand par ici», s'exclame-t-il en direction de Marc et Laurent. De fait, une salle haute d'une dizaine de mètres et large du double s'offre au regard des visiteurs ébahis. Les parois disparaissent presque sous les poils des chiroptères dont le battement des milliers d'ailes évoque le grondement d'un torrent. Virevoltantes autour des hommes, elles soufflent sur leur visage un air presque rafraîchissant, mais toujours vicié.

L'oxygène semble se raréfier et les pas se font plus lents. Il est temps de remonter malgré le spectacle exceptionnel de ce ballet aérien. «Je n'en avais jamais vu autant, reconnaît Laurent qui n'en est pourtant pas à sa première nichée. Une telle concentration explique pourquoi les parois de calcaire ont été dissoutes sur plusieurs centimètres d'épaisseur. Seules quelques crêtes de calcite ont résisté. Des peintures rupestres peintes ici n'auraient pas pu être conservées.» L'expédition ne cherche pas des œuvres pariétales mais de la brèche, sorte de roches qui forment des conglomérats, dont un filon apparaît soudain à deux mètres de hauteur derrière une stalactite. «Elle est rouge, ce qui signifie qu'elle vient de l'extérieur de la grotte», remarque Gregory. Dehors justement, les couches de brèches ont été mises au jour par l'érosion. Et là, dans la roche presque rose, caché entre les buissons, un fossile apparaît. Découvert par l'équipe lors de leur précédente mission, cet os – inconnu auparavant – renforce l'hypothèse des scientifiques: on peut trouver des fossiles dans les filons de brèche qui remplissent les grottes des Aha.

Le cas est-il unique? «Il n'y a aucune raison de croire que ce que nous trouvons ici au Botswana n'existe pas dans le même massif de l'autre côté de la frontière», affirme Laurent Bruxelles. Le lendemain, pour continuer à «se faire l'œil», comme disent les scientifiques, l'équipe met cap au nord pour visiter deux avens, des puits naturels, de 50 et 70 mètres de profondeur, en plein cœur des Aha. Pour les Sans, les gouffres de Waxhu seraient la «Maison des Dieux». Des dieux félins sans doute, à en juger par les deux lionnes qui font obstacle à l'exploration du plus profond des deux abîmes.

Les recherches de Laurent Bruxelles et de son équipe sont bloquées par la présence de lionnes à l'entrée du gouffre de Waxhu.

Pendant toute la marche de retour, la tension est palpable. Cette forte odeur est-elle plus intense à droite ou à gauche? Ce craquement, qu'est-ce? Le buisson derrière bruisse-t-il seulement à cause du vent? Les sens plus que jamais aux aguets, les trois scientifiques regagnent leur véhicule en faisant par prudence un large détour. Ils ne les avaient pas vues à leur départ, mais la poussière de la piste a conservé de larges empreintes de félins à deux pas du 4x4. Récentes ou non, le groupe ne traîne pas pour se mettre en sécurité dans l'habitacle. Là, l'inquiétude cède le pas à la déception. «Nous voulions explorer le gouffre et son réseau pour faire notre référentiel. Voir s'il y avait de la brèche à l'intérieur et comprendre comment la grotte s'était formée nous aurait permis d'extrapoler ce contexte aux collines toutes proches de Namibie», regrette Laurent.

Dans une région aussi sauvage, les trois chercheurs ont-ils fait preuve de naïveté du point de vue de la sécurité? «Ici, le plus grand risque est d'avoir un accident de la route, relativise le chef d'expédition. Nous aurions pu prendre un fusil, mais les chances de se blesser avec étaient importantes et il n'est pas question de tuer un lion pour explorer une grotte.» Dépités mais entiers, les membres de l'équipe se rabattent sur la deuxième cavité, plus au sud. Presque invisible sous les frondaisons, l'entrée de l’abîme ne dépasse pas les deux mètres de large. Le caillou qu'on y lance met pourtant plusieurs secondes avant de rebondir sur le premier replat, une quinzaine de mètres plus bas. Suspendu à une solide branche, Laurent Bruxelles ouvre la voie. Depuis son adolescence dans le Languedoc, ce spéléologue aguerri a exploré un bon millier de dédales souterrains. «Ceux qui vont descendre vous saluent», lance-t-il le sourire aux lèvres en enclenchant son descendeur.

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Le squelette d'un oiseau en voie de fossilisation au fond du gouffre de Waxhu South. © Gael Cérez

Deux heures plus tard, le reste de l'équipe le rejoint au fond du gouffre. Dans l'intervalle, Laurent a dû percer la roche à coups de marteau pour installer plusieurs relais. La corde qui relie les spéléologues à la surface ne doit en effet pas frotter contre la paroi, sous peine de s'effilocher et de rompre. La caverne est si vaste que ni les faisceaux des lampes, ni les flashs des appareils photo ne parviennent à l'illuminer toute entière. Un cadavre de crotale gît sur le pierrier. Du venin goutte encore de ses crochets. Le serpent a dû chuter très récemment. A quelques mètres, un squelette d'oiseau attire l'attention des chercheurs. Nettoyé de ses chairs par les insectes qui grouillent entre les pierres, le volatile entame sa longue marche vers la fossilisation. «L'air sec et l'absence de charognard expliquent pourquoi on trouve de tels squelettes encore en connexion, constate Laurent en inspectant les restes. Comme Little Foot à Sterkfontein, les animaux morts au fond de cette grotte seront recouverts de débris et formeront de nouveaux fossiles dans plusieurs milliers ou millions d'années.»

Dans les entrailles de cette crevasse, la visite ne s'éternise pas car dehors le jour décline rapidement. Après la rencontre léonine du matin, personne ne veut se risquer à parcourir le bush en pleine nuit, même si le campement n'est pas très éloigné. La remontée n'est pas de tout repos. Une corniche donne du fil à retordre à Grégory malgré son expérience. Dans la dernière partie de la voie, la lueur d'une frontale fait apparaître un python lové sous une grosse pierre. De sa langue fourchue, le reptile localise les spéléologues à l’odeur, mais ne semble pas menaçant. «Il est sans doute tombé ici par accident, suppose Laurent, dont le fils héberge un spécimen dans sa maison des Cévennes. Si on ne le sort pas, il va mourir de faim.» L'espace d'un instant, le scientifique estime ses chances de sauver l'animal sans risquer de morsure. Elles sont minces. Le serpent restera sous son rocher.

Pas de fossile ni de brèche pour cette fois, mais cette visite permet aux membres de l'expédition d'approfondir leur connaissance de l'environnement. «Voir la grotte, son entrée et comment elle s'est formée est important, rappelle Grégory Dandurand, géomorphologue à l'Inrap et membre du laboratoire Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés du CNR. Cela nous permettra de trouver plus facilement des grottes de l'autre côté de la frontière dans le prolongement de ce massif.» Au dixième jour de l'expédition, les experts regagnent la Namibie et s'enfoncent dans l'arrière-pays. Les trois dernières nuits dans la brousse se font sous un grand marula, l'arbre dont les fruits saoulent les éléphants.

Depuis cette base, trois nouvelles collines sont explorées. Au fond des vallons, les pistes d'éléphants facilitent le déplacement mais le long des coteaux, la végétation est presque impénétrable. Répartis en éventail à une dizaine de mètres les un des autres, talkie-walkie à la main, les scientifiques inspectent chaque versant sans progresser à plus de deux kilomètres à l’heure. Les paysages sont beaux, mais ne changent pas d'un relief à l'autre. La tâche devient répétitive. Presque ingrate. Il faut pourtant être consciencieux, car les indices ne sautent pas aux yeux. Cependant, après une journée infructueuse, Grégory alerte ses collègues: il vient de repérer de petites cavités qui plongent sous un saillant. Pas de serpent à l'horizon. Le spéléologue de 38 ans dégage quelques blocs pour inspecter plus en avant. Ça sent le porc-épic, comme dans la grotte de Sterkfontein où ces animaux s'enfoncent au cœur des galeries pour s'abriter. Malheureusement, ici en Namibie, la grotte, s'il y en a une, est obstruée.

L'équipe suit une barre de calcaire dans les collines des Aha et procède à la prospection de nouvelles grottes.

Bilan de cette nouvelle journée: du calcaire, des brèches de surface, quelques petites cavités et un mamba noir fugacement aperçu entre les hautes herbes. Les doutes qui assaillent le béotien n'entament pas la détermination des trois chercheurs. «En spéléo, on peut chercher une grotte pendant quatre jours en vain et en trouver toute une série le cinquième», relativise Laurent Bruxelles. Découverte une première fois en 1991, Hang Son Doong, la plus grande grotte du monde au Vietnam, n'a-t-elle pas été retrouvée en 2009 par les spéléologues britanniques Howard et Deb Limbert après trois expéditions infructueuses?

A l'image de Michel Brunet, qui arpenta le Tchad pendant une quinzaine d'années avant de trouver Toumaï dans le désert du Djourab, la mission Human Origins in Namibia n'en est qu'à ses prémices. A peine six collines sur la cinquantaine du massif ont été arpentées. «Nous allons les explorer systématiquement. Cela va nous occuper quelques années, mais nous trouverons quelque chose, assure Laurent Bruxelles. Avant nous, plusieurs missions n'ont pas été autorisées à venir fouiller. Cela montre l'intérêt des africanistes pour la Namibie. C'est ici qu'on trouvera le prochain fossile important pour la compréhension des origines de l'humanité.»

Laurent Bruxelles tire le bilan de cette première expédition en terres inconnues.