- Dis, tu sais où il est parti, Lénine?
Niels pose sa question avec une petite lueur maligne dans les yeux.
- Lequel?
Sébastien pense à autre chose. Il est toujours distrait par quelque chose.
- Celui de Bessarabska, celui qu’ils ont démoli le 8 décembre.
- Aucune idée, vraiment…
- Je me disais qu’on pourrait essayer de le retrouver, voir ce qu’ils en ont fait… Ils s’étaient tellement acharnés dessus, pendant Maïdan… Je voudrais en prendre une photo, je me demande à quoi il ressemble maintenant. On pourrait chercher à deux, ça t’intéresse?
Sébastien relève les yeux. Il remarque la petite lueur. Il se passe quelque chose.
- Ah tiens, c’est cool, cette idée! Oui, pourquoi pas?
C’est comme cela que tout a commencé. La chasse au Lénine, c’est d’abord une conversation de comptoir, entre deux amis. Deux Occidentaux fascinés par l’Ukraine, mais fatigués de couvrir les rebondissements sans fin qui secouaient le pays depuis novembre 2013. La chasse au Lénine, ça semblait être une manière ludique de rompre le quotidien de la couverture de guerre. Tout en faisant quelque chose d’intéressant. On parlait du Lénine de Bessarabska, quand même!
Le 8 décembre 2013, le Maïdan avait déjà pris une ampleur inattendue. Mais les perspectives du mouvement restaient incertaines, dans sa confrontation avec le régime autoritaire du président Viktor Ianoukovitch. Jusqu’à ce qu’une poignée de manifestants, pour la plupart liés au parti nationaliste Svoboda (Liberté, en ukrainien), envahissent la place Bessarabska, jettent la statue de Lénine à terre et s’acharnent dessus à coups de marteau. Niels est en train de manger une pizza à Kiev, à ce moment-là. Quand il voit la scène sur un écran de télévision, il se rue sur les lieux. Cela lui rappelle la chute du mur de Berlin.