Sur la route avec les néo-nomades américains

© Adrain Chesser, The Return (Daylight Books)
Les nomades sont toujours plus nombreux aux Etats-Unis. Et il y a de plus en plus de jeunes.

Ce premier volet en images sur les utopistes qui tournent le dos à la société de consommation nous emmène dans l'Ouest américain. Le photographe Adrain Chesser a partagé le quotidien des néo-nomades.

«J’avais dans ma façon de vivre au moins cet avantage sur les gens obligés de chercher leur amusement au dehors, dans la société et le théâtre, que ma vie elle-même était devenue mon amusement et jamais ne cessa d’être nouvelle.» 

Ces mots, Henry David Thoreau les écrivait en 1854, dans Walden ou la Vie dans les Bois. Dans cette œuvre phare de la littérature américaine, l’auteur prône une vie plus proche de la Nature et se montre très critique envers le monde occidental.

Aujourd’hui, il est des gens qui entendent l’appel de Thoreau à une vie la moins consumériste possible, comme ces Américains photographiés par Adrain Chesser qui vivent de la chasse et de la cueillette dans l’Ouest des Etats-Unis. Ses images sont rassemblées dans le livre The Return (le retour en français). 

L’aventure du photographe commence en 2007, lorsqu’il assiste à une cérémonie de danse amérindienne, la «Naraya», dans le Tennessee. Là, il rencontre des nomades – non-Amérindiens – qui vivent entre le Nevada, l’Utah, l’Oregon et la Californie, dans le grand Bassin (Great Basin), une zone de montagnes, de hauts plateaux et de bassins sédimentaires. A cette époque, nous confie-t-il depuis la côte Ouest où il se trouve actuellement, sa propre vie est «très compliquée. J’aspirais à autre chose, à plus de simplicité.»

Le déclic est immédiat, notamment avec Fenicia, une femme d’âge mûr. «Très virulente, elle impressionne. Mais je suis allé droit vers elle et le lien a été instantané. Je suis tombé amoureux de ces gens. J’ai été attiré par la beauté et la radicalité de leur démarche, qui se veut en symbiose avec la nature et est, dans ce sens, profondément spirituelle.» Ces hommes et ces femmes partagent «une même vision»: subsister en consommant le moins possible. A titre d’exemple, une fois les plantes ou les baies cueillies, ils replantent les graines dès que possible.

Très vite, Adrain Chesser décide de les suivre dans leurs périples. Les pérégrinations, qui peuvent durer des semaines ou des mois, se font au rythme des saisons. La cueillette, aidée par la connaissance de la flore indigène, est agrémentée par la chasse et la pêche. «J’ai grandi à la campagne, dans une ferme, mais je me méfiais de la nature, raconte le photographe. Aujourd’hui, je me sens à l’aise dans les espaces sauvages.»

L’idée de tout quitter n’a pas effleuré Adrain Chesser. «J’ai une autre vocation», sourit-il. Lorsque nous lui avons parlé, il revenait du Kosovo, où il travaille sur un nouveau projet. Et puis, il est séropositif, a besoin de médicaments au quotidien. Mais l’expérience l’a marqué pour toujours. «Tu prends conscience de l’énergie utilisée, de chaque choix que tu fais. Vivre ainsi peut sembler une épreuve insurmontable, mais pour moi, cela reste un idéal.» Il garde le contact avec nombre de ceux qu’il a photographiés. «Aujourd’hui, ils font partie de ma famille.»

Les images de The Return sont accompagnées d’un texte de Tim «White Eagle», un ritualiste bel et bien amérindien. «La plupart de ces gens, écrit «White Eagle», sont pauvres, certains sont homos, transgenres; d’autres sont des ermites, d’autres encore sont politiquement radicaux. Tous (…) sont des pionniers, prêts à entrer en territoire inconnu et en quête de quelque chose qui a été perdu il y a de cela des générations.» 

Beaucoup d’entre eux gardent des liens avec la civilisation, voyagent certaines périodes de l’année. «Certains sont nomades quand ils le peuvent, résume Adrain Chesser. Mais en tout cas, ils sont toujours plus nombreux, et il y a de plus en plus de jeunes.»

Comment ces marginaux sont-ils perçus? «Je ne crois pas que l’Amérique mainstream soit même au courant de leur existence», répond le photographe. 

Mais les images de The Return fascinent. «Cette fascination reflète, je crois, le malaise ressenti par beaucoup de nos contemporains. Eux aussi aspirent à cette liberté, à ce détachement envers les choses matérielles.»

Depuis quelques années, les travaux photographiques sur le sujet se multiplient, notamment outre-Atlantique. En 2008, Joel Sternfeld publiait chez Steidl Sweet Earth-Experimental Utopias in America

En 2012, le jeune photographe new-yorkais Lucas Foglia faisait chavirer la critique avec le superbe A Natural Order, sur les Américains ayant choisi de vivre de la manière la plus autarcique possible, qu’il s’agisse de familles ultra-religieuses ou de néo-hippies. Mais en Europe aussi, certains font le choix de tourner le dos à la société de consommation, comme nous vous le montrerons dans notre prochain volet.