Le géant et l’orgue de Barbarie (4/6)

Quatrième épisode de notre plongée dans la Suisse des clochards avec Fabian. Handicapé mental élevé en famille d’accueil, ce dernier s’est battu des années durant pour récupérer l’héritage de sa mère spolié par un employé de mairie.

Pauvreté Suisse Fabian Pauvreté Suisse Fabian
© Charles Habib

Fabian est né quinze ans après Rosario, en 1987 à Zuchwil, un village du canton de Soleure, d’un père maçon et d’une mère serveuse. A l’âge de deux ans, il contracte une encéphalite qui lui laisse des séquelles neurologiques; cette année-là, ses parents se séparent et le confient au service social de la commune. Après quatre ans dans une famille d’accueil soleuroise, il est placé dans un autre foyer à Buckten, dans le canton de Bâle-Campagne, jusqu’à sa majorité. S’il a gardé de bons souvenirs de sa première famille, ce n’est de loin pas le cas de la seconde: «Nous étions onze enfants, se rappelle-t-il. La mère d’accueil avait un gros problème d'alcool et certains gamins buvaient. Ils ont bien essayé de m’y entraîner, mais j’ai résisté. Nous n’étions ni maltraités ni battus, souvent insultés, par contre. Et puis, la femme m'a raconté des mensonges jusqu'à mes 18 ans.» Il suit l’école primaire comme il peut, «les professeurs et les élèves étaient gentils; j’ai essayé de garder contact avec un ou deux camarades, mais ils n’étaient pas intéressés.» Quant à son père biologique, qu’il voit régulièrement, il a deux filles et un fils d’un second mariage «qui ne veulent pas fréquenter un retardé mental». Fin décembre 1999, sa mère décède d’un cancer en lui laissant 135'000 francs en héritage. «A partir de ma majorité en février 2005, l’assurance-invalidité (AI) m’a versé une rente et j’ai perçu des prestations complémentaires qui ont été suspendues en septembre pour ne reprendre qu’en 2008.» Durant ces trois ans, le canton nomme successivement trois tuteurs qui ont procuration sur son compte. «Pour chaque dépense, Fabian devait s’expliquer (il parle souvent de lui à la troisième personne, nda). Tu veux un abonnement de train pour rendre visite à ton père, pourquoi? Un vélo, pourquoi? Ils décidaient de tout.» Sa rente AI ne couvrant pas toutes ses dépenses, ses tuteurs puisent dans son pécule au lieu de demander une réévaluation de ses prestations complémentaires. Résultat: fin 2008 son compte affiche un solde de... 400 francs. En 2012, il trouve une place dans un atelier protégé à Bâle, mais «c’était très dur, personne ne voulait me parler; je me suis renfermé.» Le changement est en effet radical: après avoir grandi avec plein d’enfants dans un petit village, Fabian se retrouve seul dans une grande ville où il doit apprendre les circuits des trams, s’inscrire aux services sociaux, s’habituer à un nouveau tuteur, trouver un logement, se familiariser avec le travail, etc. Ce n’est qu’au printemps 2016, quand son tuteur lui montre l’inventaire de la succession de sa mère et qu’ils vérifient son compte bancaire qu’il réalise que tout son argent a disparu. Doté d’une volonté de fer, Fabian commence alors un combat féroce et chaotique pour récupérer ce dont il a été spolié. «J’ai contacté plusieurs avocats et, grâce à mon tuteur, j’en ai finalement trouvé un qui a été d’accord de m’accompagner dans ma démarche. En avril 2016, il a déposé une requête en conciliation contre le canton de Soleure. A l’audience, le président de la commune de Zuchwil a affirmé que le montant de mon héritage était suffisant pour vivre sans aides. Il a aussi souligné "qu’il s’agissait du cas d’un analphabète", ce qui m’a vraiment blessé.» Onze mois plus tard, le tribunal se déclare incompétent, les lois ayant changé. L’avocat de Fabian dépose alors, en juin 2017, une plainte au tribunal civil de Soleure, cette fois-ci contre la commune de Zuchwil. Quand nous nous rencontrons à la gare de Bâle, en novembre 2018, son affaire est toujours en cours.

Fabian n’est pas d’un abord facile. Il bégaie et intervertit souvent l’ordre des mots. Seuls de rares sourires, des yeux qui se mouillent ou une accélération brusque de son discours trahissent la tempête d’émotions qui l’habitent. Reste que ce géant aux traits durs et à l’expression revêche qui boquillonne fortement de la jambe droite se poste chaque fin d’après-midi, six jours par semaine, devant l’entrée de la gare ou sur la galerie d’accès aux trains pour vendre aux milliers de pendulaires en transit le magazine de rue Surprise, consacré à la pauvreté, l'exclusion, le sans-abrisme et la migration. Passionné de musique, Fabian joue aussi de l’orgue de Barbarie à la gare et durant la Herbstmesse (Foire d'automne), une grande kermesse qui se tient dans différentes parties de la ville les deux dernières semaines d’octobre, ce qui lui rapporte quelques pièces et parfois même des billets. Son spot à lui, c’est Petersgraben, une rue qui mène à une place arborée devant l’université investie, quinze jours durant, par une ribambelle de petits chalets en bois proposant barbes à papa, objets et vêtements 100% écologiques, vin chaud, ustensiles de cuisine miracle, et naturellement saucisses, fondues et raclettes à gogo. Le tout à des prix brutalement majorés. Son orgue, Fabian l’a acheté d’occasion en 2013 avec une trentaine de rouleaux de papier perforés de musiques en tous genres: classique léger, chansons d’enfants, musique de Noël, mélodies populaires... Tourner la manivelle, faire danser les notes, Fabian y prend visiblement beaucoup de plaisir. Tout comme à son travail, qu’il effectue avec application, dans l’un des ateliers de VEBO, une institution d'insertion professionnelle et sociale pour les personnes atteintes dans leur santé qui gère un grand nombre d'établissements de travail, de logement et de conseil dans le canton de Soleure. Depuis mai 2017, quatre jours par semaine, il se rend en train – une heure de trajet – dans la zone industrielle de Breitenbach pour retirer, de 7 à 9 heures, le carton de protection autour des packs de 10 bouteilles de ketchup qu’un collègue enveloppe juste après d’un film transparent. Dans ce grand bâtiment plat, moderne et très propre, d’autres camarades de travail poussent des charriots ou emballent des objets. L’atmosphère y est bon enfant. Une fois qu'il a fini ses heures, je le ramène chez lui dans la grisaille froide et pluvieuse. Fabian vit dans un vieux 3 pièces au rez-de-chaussée d’une maison de St. Johann, un quartier populaire du Grand-Bâle sur la rive gauche du Rhin. La pièce principale est un véritable capharnaüm. Même si tout a l’air propre, des habits traînent sur son lit et sur les chaises, débordent des armoires ouvertes; la grande table est recouverte de lettres, de prospectus, de factures et de feuilles gribouillées; des tas de papier sont empilés sur le parquet. L’autre pièce, en revanche, est vide à l’exception de son orgue de Barbarie qui trône au milieu, éclairé par une ampoule au plafond. Je lui propose qu'on se retrouve un jour prochain dans mon atelier pour bavarder. Quelques semaines plus tard, il fait irruption très énervé, le dossier de son affaire sous le bras; le tribunal n’a toujours pas statué sur son cas. Je fais diversion en l’interrogeant sur sa claudication.
– J’ai eu deux accidents à la jambe droite, m’explique-t-il un peu calmé devant un café. Le premier, en janvier 2012. Je venais d’arriver à Bâle. J'ai glissé sur une plaque de glace et je me suis cassé le tibia et le péroné. Le deuxième s’est produit à Noël 2017: j'ai été renversé par une voiture qui a soudainement reculé sur le trottoir. Mon tibia a de nouveau été cassé. Depuis cette facture avec complications, je ne peux quasiment plus marcher. Le chauffard s'est enfui, la police l’a recherché en vain.
– Combien d'opérations as-tu subies?
– Deux à la suite de ces deux coups du sort. Ma jambe droite me fait toujours souffrir; je ne peux pour ainsi dire plus marcher et je dois souvent me mettre dans une chaise roulante.
– Où va l'argent que tu gagnes? demandé-je changeant de sujet.
– A l’APEA (Association pour la protection de l’enfant et de l’adulte, nda) de Bâle, qui perçoit aussi ma rente AI et les prestations de l'aide sociale. C’est elle qui paie mon assurance maladie, mon loyer, l’électricité et internet, et me verse un montant fixe par semaine pour la nourriture et les extras. Mais ça ne suffit pas du tout, car je dois avancer l'argent pour les magazines Surprise que je vends, soit environ 1’000 francs par mois. Certes, je récupère cette somme, mais il faut quand même que je l’avance. Je fais comment pour vivre? C’est pas correct! A la fin de l'année, Fabian va arrêter avec Surprise parce que ce système est trop lourd pour moi, et avec l’augmentation du prix au numéro, j’en vends moins (en réalité, le prix au numéro n’a pas changé depuis le lancement du magazine en 2011, nda). Ce d’autant que je dois déclarer aux impôts tout ce que je gagne chez VEBO et avec la vente de Surprise et, dès que mes revenus dépassent la franchise annuelle autorisée (soit 1’000 francs pour une personne seule selon les dispositions AVS/AI en vigueur, nda), je dois rembourser une partie des prestations complémentaires. Ils ont toujours l'impression que Fabian gagne trop, qu’il n’a pas besoin d’aide. Travailler en plus de ses rentes, c’est totalement stupide pensent-ils!
– Si tu arrêtes de vendre des magazines, l'AI devrait te suffire, non?
– Non. J’ai 33 ans et je ne sais ni lire ni écrire. Je ne peux pas rester assis à ne rien faire toute la journée! Fabian a besoin de sortir, de voir les gens; il a aussi du plaisir à jouer de l'orgue, car cela crée une belle ambiance. Je sais bien que je perçois une rente, mais ma tête me dit que je dois travailler. Je veux faire quelque chose et gagner un peu d’argent, mais Bâle-Ville me pénalise.

Très agité, le grand gaillard se lève, sort quelques secondes, puis revient, se rassied: «Tu m’as demandé l’autre jour pourquoi je n’allais pas bien, reprend-il. Je vais t’expliquer: tu sais que je joue aussi de l’orgue à la gare. En janvier 2017, je me suis mis devant une boulangerie dans le hall d’entrée. L’une des employées m’a dit qu’elle appréciait ma musique et que je pouvais venir quand je voulais. Au début, tout s'est bien passé. Et puis, je suis tombé amoureux et je suis revenu tous les jours. Elle m’a alors suggéré que je pourrais aussi devenir client; j’ai trouvé l’idée bonne et j'ai dépensé 2’500 francs en six mois en cafés et petits pains au chocolat. Quand Fabian lui a avoué qu’il l’aimait, elle lui a répondu: "Je travaille, je ne peux pas sortir t’écouter tous les jours et en plus j'ai un copain depuis 14 ans." Cela m'a rendu triste, mais, le lendemain, je lui ai apporté une rose... qu’elle a laissée sur une table. La fois suivante, elle a ajouté: "Tu peux toujours venir, ça n'a pas d'importance, mais maintenant, tu n'es plus mon ami." Comme je suis têtu, j’y suis retourné une dernière fois et dès qu’il m’a vu entrer, son chef m’a averti: "Elle ne peut pas te parler, elle doit servir les clients." Je me sentais minable, je voyais bien que les autres se moquaient de moi. Mais pour moi, c’était elle qui avait un problème: elle était venue vers moi pour me dire qu’elle aimait ma musique; elle est revenue encore et encore et, dès que Fabian lui a confié ses sentiments, elle a répondu qu’elle ne voulait plus de moi. Cela fait mal, je ne sais pas lire, je ne sais pas écrire et, en plus, on me méprise! A force, tu perds la confiance en l'homme.»

Il a cessé de parler et pleure doucement assis à côté de moi. J’arrête l’enregistreur. Comment consoler une personne qui a été humiliée toute sa vie? Fabian reste silencieux de longues minutes. Soudain, il frappe violemment le dossier de l’affaire Zuchwil posé sur ses genoux, et crie: «Ça, c'est une grosse connerie et cette histoire avec la dame, c’est aussi une connerie. Non, désolé, ça ne va plus!» 
– Est-ce qu'elle a un nom, cette dame?
– C'était... (Il cherche quelques secondes.) Je ne sais plus...
– Tu veux qu’on continue?
– Non, je suis fatigué.

Il n’est pas tard, à peine 17 heures, mais la nuit est tombée depuis longtemps. De la fenêtre, j’aperçois sa grande silhouette boiter un temps dans la cour avant de disparaître. Seule la lumière de mon atelier brille dans le noir froid et silencieux de l’hiver. Les mois suivants, Fabian est venu quelques fois taper au carreau cherchant à savoir quand l’article le concernant allait paraître et s’il pourrait le trouver en Suisse alémanique. Puis, au printemps 2019, il n’est plus revenu. L’été suivant, je suis passé chez lui afin qu’il me confie des copies de ses procédures juridiques. Rien n’avait changé, toujours le même désordre, les habits jetés n’importe comment, les papiers traînant partout. On s’est assis à la table et il m’a apporté une pile de photocopies en vrac: les mémoires et les actes se répétaient, des pages manquaient. Au bout de deux heures, j’ai enfin réussi à reconstituer le fil de quelques documents que j’ai tenté de déchiffrer les semaines suivantes. J’ai même consulté une amie avocate tant le jargon juridique allemand m’était difficile à comprendre. Si le délit commis par les tuteurs est établi, les années perdues avant l’intervention d’un avocat ont compliqué son affaire: non seulement les faits remontent aux années 2005-2008, mais surtout ils se sont déroulés dans un autre canton que celui où habite Fabian depuis 2012 et les personnes mises en cause ne travaillent plus. Comme si cela ne suffisait pas, les lois concernant la protection des mineurs et des personnes handicapées ont changé: avant 2013, le Code civil stipulait que les services de tutelle et leurs employés devaient répondre des préjudices qu’ils avaient causés; depuis, ce sont les administrations cantonales qui sont légalement responsables d’un manquement de diligence du curateur. Dans la plainte au tribunal civil de Soleure en 2017, son avocat s’est basé sur cette nouvelle règle juridique pour poursuivre la commune de Zuchwil et la direction régionale de l’aide sociale. Ce qu’elles ont évidemment contesté puisqu’au moment des faits, l’ancienne réglementation était en vigueur! Une tactique judicieuse pour faire traîner l’affaire, dont le délai de prescription était tout proche. En résumé, le dossier de Fabian n’a jamais été jugé sur le fond, ni en conciliation ni au civil, et rejeté uniquement pour des questions formelles. Son avocat ayant renoncé à faire appel en raison de la péremption, Fabian a définitivement perdu. Il ne lui reste que l’amertume de l’injustice que synthétise la mauvaise foi de l’avocat de la partie adverse: «M. Fabian Schläfli ne peut s’en prendre qu’à lui-même, car il aurait dû réagir immédiatement», alors qu’il ne sait ni lire ni écrire! «C'est pour cette raison que je veux être dans les journaux, parce qu’on me spolie depuis que j'ai deux ans. J'ai fait confiance aux gens de la commune, je leur ai confié ma fortune. Et maintenant? Ils ne sont pas coupables, rien! Je ne trouve pas ça normal.» Quelques mois plus tard, à l’automne 2019, Fabian me téléphone pour me demander d’organiser un rendez-vous avec mon amie avocate: il veut absolument aller au Tribunal fédéral malgré le refus de son propre conseil. Le lendemain, je l’informe que mon amie ne peut rien faire en raison de la prescription des faits. Il se fâche et raccroche...

Après la parenthèse COVID-19 qui nous a éloignés pendant deux ans, je retrouve Fabian à l’été 2021. Le décor a totalement changé: peu après notre dernier téléphone, Fabian a déménagé en novembre 2019 derrière le stade Saint-Jacques, en périphérie de la ville. Après 40 minutes de bus, je me retrouve devant un immense chantier qui longe l’autoroute. Quelques tours, dont deux à moitié achevées, se dressent au milieu des camions, des grues et des barrières. Je dois demander par deux fois son adresse avant de trouver enfin son immeuble. Quand je sors de l’ascenseur au 17e étage, il m’attend sur un petit palier de béton gris et froid qui dessert quatre portes en bois tristes. Son appartement est un petit 3 pièces doté d’un balcon sur toute la longueur avec vue plongeante sur l’autoroute, les rails et les tours en construction. Le salon est toujours autant en désordre. Fabian débarrasse une chaise et me fait signe de m’y asseoir.
– Pourquoi as-tu quitté ton logement de la Landskronstrasse?
– C’était trop cher. Ici, je paie moins et en plus je récupère 400 francs tous les trimestres à cause des nuisances dues aux chantiers.
– Ça te plaît d’habiter au sommet d’une tour?
– Là-bas, j’étais en pleine ville. Mais ça va aussi ici, il y a la Migros, Denner et le stade Saint-Jacques pas très loin.
– C’est quand même assez isolé.
– C’est vrai, je ne croise personne et je ne parle à personne.

Personne ne lui rend visite non plus, hormis l’aide ménagère de Spitex une fois par semaine. Chaque mois, Fabian part à Soleure voir son père dans une maison de retraite: «Il est atteint de démence et reçoit des médicaments très fort, il fatigue vite.» La douleur submerge brusquement son visage. N’arrivant pas à exprimer ses émotions, il reste silencieux, regarde ailleurs, serre les lèvres et essuie ses larmes qui coulent.
– Je me sens parfois très seul, reprend-il. Mais je ne veux pas vivre en appartement protégé. J'ai peur de perdre mon indépendance. J'ai rencontré suffisamment de problèmes en vivant en groupe, je resterai ici jusqu'à ma mort.
– Pendant les confinements, tu restais à la maison?
– Maintenant, je suis vacciné, mais, pendant des mois, je ne pouvais plus jouer de l’orgue ni vendre Surprise, j’ai perdu des milliers de francs.
– Qu'est-ce que tu faisais toute la journée?

Il s’esclaffe, se lève et me montre plusieurs piles de papier sur une commode.
– Je découpais des bonshommes de neige, sourit-il. J’en ai fait des milliers. Si tu veux, je te montre.

Il prend aussitôt une feuille, la pose sur la table, place une forme en plastique dessus, trace et découpe le contour, puis dessine les yeux et la bouche. Ça ressemble à Casper le fantôme. Il m’explique qu’il les glisse dans les exemplaires de Surprise. C’est un bonus très apprécié des clients, m’assure-t-il.
– Que fais-tu aujourd’hui?
– Je vends toujours Surprise. Mon orgue est enfin réparé, je vais pouvoir rejouer.
– Dans un article te concernant paru en 2019 dans le magazine Surprise, la journaliste a écrit que tu t'étais libéré de ta curatelle, que les services sociaux avaient accepté et nommé à la place un conseiller externe pour préparer tes paiements et t'aider à faire ton administration. Comment ça se passe maintenant?
– Eh bien! J’ai de nouveau une tutrice. En décembre 2019, Fabian a connu une dame qui travaillait à VEBO. Elle s’appelle Monika. On est allé au cinéma, on a mangé dehors, j'ai payé à chaque fois, cela se passait bien. Au bout de trois mois, elle m'a confessé que notre différence d’âge lui posait problème, qu’on ne pouvait être que de bons copains. J'ai 33 ans, elle 61. Bien que je lui ai assuré que cela ne me dérangeait pas, elle m’a répondu: «Les hommes sont tous pareils, ils ne veulent qu'une seule chose…» Quand elle a été opérée au printemps 2020, je lui ai rendu visite. Elle m’a alors annoncé que sa fille aînée allait venir et qu’elle me la présenterait. Je lui ai répondu que je ne voulais pas la rencontrer, car elle a aussi un ami handicapé, et je suis parti. Monika n’a plus voulu voir Fabian. Six mois plus tard, elle est revenue vers moi et m’a dit qu’elle était avec moi juste pour que je ne sois pas seul. Ça m'a énervé. Malgré la pension alimentaire de son mari et l’argent gagné à VEBO, elle avait toujours des problèmes financiers. Et, au lieu de remplir les formulaires d’aide sociale, c’était plus simple de demander de l’argent à Fabian qui lui en a donné pas mal. Elle ne m’a jamais remboursé et j’ai malheureusement dû lui envoyer des commandements de payer. Je ne la vois plus, elle a quitté VEBO en juillet, et moi en septembre. A cause d’elle, j’ai 14’000 francs de dettes, primes d’assurance maladie, impôts et loyers en retard. Du coup, l’APEA m’a remis sous curatelle depuis juillet 2020.

Le 4 décembre 2021, je revois Fabian autour d’un café latte et d’un gâteau aux fruits exotiques que nous dégustons sur une table à l’extérieur du hall de la gare, COVID-19 oblige. Je profite de l’interroger sur ses plans pour l’année prochaine.
– A la fin du mois, je ne vendrai plus Surprise ici, car j’ai eu de gros problèmes, m’avoue-t-il. Il y a cinq ans, j’ai rencontré Sandra, une femme d’une cinquantaine d’années, vendeuse dans un magasin de bonbons à la galerie marchande. Nous discutions souvent ensemble. Quand elle a remarqué qu'elle me plaisait, elle m’a annoncé qu'elle avait déjà quelqu'un dans sa vie et a pris ses distances. A l’issue du procès à Soleure, en décembre 2018, elle m'a demandé si j'avais perçu l’argent qu’on m’avait volé. Quand je lui ai dit que j'avais perdu, notre relation s’est dégradée. Finalement, elle s’est plainte aux CFF et auprès de Surprise, affirmant que Fabian la dérangeait, qu'il ne la laissait pas tranquille. Les CFF l'ont crue et ont annulé mon autorisation à partir du 1er janvier 2022. Si je trouve une dame sympathique, je bavarde avec elle. Naturellement, si elle voit quelqu’un d’autre, je suis déçu. Suis-je pour autant le méchant?

Avec le soutien de Journafonds.

Logo JournaFonds Logo JournaFonds