Pollution: quand l'air d'Asie tue (2/4)

© Tan Yi Han
Un feu de tourbière, Malaisie, juin 2013.

Sur le podium des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre, l’Indonésie arrive en troisième position. En cause: la production d’huile de palme.

Tous les ciels brumeux se ressemblent peut-être, mais chaque source d’émissions est unique. La cheminée d’une usine de Pékin rejette dans l’atmosphère un mélange de substances chimiques différent de celui du pot d’échappement d’une voiture à New Delhi. Et le taux de pollution d’une ville donnée dépendra de la rigueur avec laquelle les émissions sont contrôlées et de la facilité plus ou moins grande avec laquelle elles peuvent être dispersées. Les émissions des véhicules et des usines ont été analysées pendant des dizaines d’années dans les pays à haut revenu, mais nous ne comprenons pas encore tout à fait ce phénomène de brume sèche et son impact sur la santé. «Peu de personnes ont enquêté sur le sujet, malgré l’importance du phénomène», explique Mikinori Kuwata, un chimiste spécialiste de l’atmosphère travaillant à l’Université de technologie de Nanyang, à Singapour.

Contrairement aux gaz émis par les usines et les voitures, la fumée des incendies de forêt n’est pas régulée par des filtres de cheminées, des catalyseurs ou d’autres outils d’atténuation de la pollution. La composition de la fumée varie largement selon le type de matériau en feu. Les tourbières, par exemple, prennent plus de temps pour brûler que des matériaux plus secs, de même que le bois mouillé se consumera plus lentement que s’il est sec. Selon l’Agence américaine de protection de l’environnement (United States Environmental Protection Agency), les tourbières brûlent à des températures moins élevées et émettent une fumée plus nocive et plus dense que les feux de forêt ou de prés.

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Un feu de tourbière, Malaisie, juin 2013. © Tan Yi Han

Les émissions d’un feu de tourbière dépendront en grande partie de la composition de la tourbe, de sa température de combustion et de la profondeur à laquelle le feu survient. Mais on ne connaît pas encore de tels détails pour le cas de l’Indonésie, car les tourbières de ce pays s’étendent sur une surface de la taille du Royaume-Uni… La conséquence, selon Kuwata, est que «nous n’avons pas de recensement fiable» des feux de tourbières dans le pays. Dans son laboratoire de Singapour, il fait brûler de la tourbe indonésienne dans le but d’étudier ses propriétés chimiques, mais il affirme que son travail est contraint car il ne peut être sûr que ses expériences sont conformes à la réalité. L’Indonésie est une grande réserve de tourbières tropicales – et, pendant toute une génération, ces terres ont été brûlées pour préparer le sol à la culture des palmiers à huile. La fumée provoquée par ces feux représente désormais 40% des émissions de gaz à effet de serre de toute l’Indonésie.

L’huile de palme sert d’ingrédient à de nombreux produits, du rouge à lèvres à la crème glacée. Mais elle a également aidé le pays, et c’est une distinction peu glorieuse, à se classer comme le troisième émetteur de gaz à effet de serre au monde, derrière la Chine et les Etats-Unis, et à devenir l’une des sources de production principales d’un nuage de fumée particulièrement nocif. Par un après-midi d’été, le ciel était d’un blanc crémeux dans la province de Riau, qui produit environ un quart de l’huile de palme indonésienne. Tan Yi Han, consultant financier de 28 ans et bénévole pour le Global Environment Centre (lire notre premier volet) explique la situation: «Je me suis d’abord arrêté au quartier général de WALHI, une ONG basée dans la ville de Pekanbaru qui se bat auprès du gouvernement indonésien pour lutter contre la brume sèche et d’autres problèmes environnementaux.

Lorsque je suis arrivé dans leurs locaux, situés dans un immeuble résidentiel près de l’aéroport de Pekanbaru, un groupe d’agriculteurs et d’activistes discutaient de la brume en fumant des cigarettes et buvant du café en compagnie de Sri Nurhayati Qodriyatun, chercheuse pour le Secrétaire général du parlement indonésien. Qodriyatun a déclaré que son employeur l’avait envoyée à Riau pour réaliser un rapport sur la brume sèche. Lors de cette rencontre, elle a expliqué que, d’après les estimations du gouvernement, les feux de forêt n’avaient généralement pas lieu dans les grandes plantations.» La foule a commencé à s’agiter. «Les déclarations du gouvernement à propos de la fumée sont fausses! a crié un militant du Forest Rescue Riau Network, une ONG locale. Et les ministres ne se consultent pas entre eux, ils ne font que s’accuser les uns les autres!»

Cet échange illustrait bien les débats interminables ayant cours en Asie du Sud-Est pour déterminer à qui revient la responsabilité des feux de tourbières. Les agriculteurs et les groupes de défense de l’environnement accusent souvent des entreprises localisées à Singapour ou en Malaisie de ces délits. Mais de nombreuses entreprises déclarent que de telles accusations sont exagérées et qu’elles ont grandement réformé leurs pratiques d’assèchement des terres au cours des dernières années, à travers des actions telles que la Table ronde pour une huile de palme durable (Roundtable on Sustainable Palm Oil), un consortium dirigé par l’industrie. Dans tous les cas, poursuivait Qodriyatun, les feux ont porté atteinte à la réputation internationale de l’Indonésie, et le gouvernement ne prête que peu d’attention à l’impact sur la santé dans la province de Riau et dans l’ensemble du pays. «En ce qui me concerne, je ne trouve pas que le gouvernement s’en sorte si bien que cela, m’a-t-elle confié après la rencontre. En général, ils réagissent après les feux, mais je pense qu’ils devraient réfléchir à des mesures de prévention.»

Pourtant, les feux de tourbières sont connus pour être difficiles à anticiper et à éteindre. Ils démarrent et se répandent facilement, parfois de façon incontrôlable, en fonction de la vitesse du vent, de la profondeur du sol et de la sécheresse de l’air. «Il est très difficile de déterminer la gravité d’un feu quand il commence», dit Dedy Tarsedi, un agriculteur du village de Bungaraya dans la province de Riau. Nous étions assis dans un café en bord de route, près des palmiers. Tarsedi m’a expliqué que la culture des palmiers était une culture de choix pour les agriculteurs de la ville car elle rapporte plus que le riz paddy (terme venant du malais padi, qui désigne le riz sur pied dans la rizière). Un hectare de palmiers équivaut en moyenne à 48 millions de roupies indonésiennes (environ 3’360 euros) par an. Le riz paddy, lui, ne rapporte que 40 millions de roupies.

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Les feux de tourbières dégagent une grande quantité de particules fines et de gaz à effet de serre. © U.S. Fish and Wildlife Service Northeast Region/Flickr

Mais si la culture des palmiers s’est accrue dans le village, les feux aussi. Et ils touchent à la fois les plantations industrielles et les petits producteurs. «Si un feu survient et qu’on ne peut pas le contrôler, nous ferons un rapport, déclare Maman, un agriculteur de Bungaraya. Mais il arrive que même les hélicoptères ne puissent rien faire face aux flammes. Et lors des feux les plus graves, beaucoup d’enfants se mettent à tousser et doivent être soignés à la clinique.» En 2009, l’Indonésie a voté une loi interdisant les feux de tourbières. Les agriculteurs de Bungaraya m’ont raconté qu’en conséquence, ils avaient commencé à nettoyer les champs de tourbe à la main, sans y mettre le feu. Mais Tarsedi explique que de telles méthodes demandent plus de travail et des quantités plus grandes de fertilisants. Cela requiert plus de temps et d’argent, et la plupart des agriculteurs ne sont pas prêts à faire de tels sacrifices.

Traduit de l’anglais par Sophie Ginolin pour ulyces.co d’après l’article «Where there’s smoke» paru dans Mosaic Science.