Quand le vent souffle de l’ouest, la fumée peut s’étendre vers l’est, à travers le détroit de Malacca et jusqu’à Singapour et Kuala Lumpur (la capitale de la Malaisie toute proche), qui concentrent une population d’environ sept millions de personnes. L’Asie du Sud-Est n’est pas la seule région où de grandes étendues de végétation prennent feu. La majeure partie des feux dans le monde surviennent en Afrique et en Amérique du Sud. «Mais ceux d’Asie du Sud-Est sont uniques car ils ont lieu à proximité de centres urbains très denses», explique Miriam Marlier, une chercheuse de l’Université de Columbia spécialiste de l’atmosphère.
Il n’existe aucune étude détaillée sur l’impact d’une exposition répétée à la fumée de tourbière sur la santé humaine, et encore moins sur les différences entre les propriétés chimiques de ces feux et celles d’autres feux de biomasse. Pourtant, des recherches récentes offrent quelques indices. Des chercheurs américains ont démontré que les feux de tourbière qui ont eu lieu dans les Etats du Sud durant l’été 2008 ont causé un pic de visites aux urgences pour des problèmes d’insuffisance cardiaque et pour des troubles respiratoires en lien avec l’asthme. Dans une étude de suivi publiée en juin 2014, ils ont fait brûler de la tourbe à moitié carbonisée provenant des feux près des souris du laboratoire. Les problèmes pulmonaires qui en ont résulté étaient liés aux particules les plus grosses de la fumée, et les problèmes cardiaques aux particules fines.
Le souci principal, d’un point de vue sanitaire, est que les feux de tourbe ont tendance à générer de plus grandes quantités de particules fines, nommées PM2,5, que les feux de forêt classiques. C’est un fait inquiétant car on considère que ces particules pénètrent davantage dans le sang, ce qui implique un risque plus grand que le cœur ou d’autres organes internes soient touchés. Elles sont aussi plus difficiles à arrêter à l’aide des simples masques chirurgicaux que de nombreux asiatiques portent comme protection contre la pollution dans les villes. Une étude largement répandue en 2012 et publiée dans la revue Environmental Health Perspectives a estimé qu’environ 339’000 morts entre 1997 et 2006 étaient dues aux feux de forêt. Près de quatre morts sur cinq étaient liées à une exposition chronique, et non sporadique, à la fumée. L’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud-Est comptaient respectivement 157’000 et 110’000 morts, et le taux de mortalité a connu un pic pendant les années dominées par le phénomène climatique El Niño, typiquement lié à un temps plus sec en Asie du Sud-Est. «La réduction de l’exposition moyenne de la population à la pollution de l’air est une tentative mondiale qui aura sûrement des bénéfices immédiats et conséquents sur la santé», concluent les chercheurs.