L’inspection dure maintenant depuis cinq bonnes minutes. A petits pas, Arlette Maussan, longs cheveux blancs noués en queue-de-cheval et petites lunettes rondes, progresse sur la piste de randonnée. Au bout de la bride qu’elle tient dans sa main gauche, frôlant le sol pierreux, une étrange boîte couleur crème émet des «bips-bips» aigus et réguliers qui rompent la tranquillité de ce sous-bois du Massif central. La militante ne quitte pas des yeux l’ictomètre, son détecteur à rayons gamma, témoin de la radioactivité du lieu. Subitement, sur l’écran aux LED rouges, les chiffres s’affolent. Arlette, elle, s’arrête tout net: «Regardez, 14'000 C/S.» Comprenez 14'000 coups par seconde. «Dans la région, la valeur naturelle est de 200 coups par seconde», décrypte, en connaisseuse, celle qui milite depuis trente-sept ans contre tout ce qui a trait au nucléaire. «C’est très dangereux. Ici, le week-end, le sentier est fréquenté par des familles. Des enfants en bas âge peuvent jouer avec des pierres. Ne restons pas là», termine-t-elle avant de s’éloigner.
Il y a des années, le chemin de la Pierre des Fées a été nivelé avec des résidus de l’ancienne mine d’uranium toute proche. Des déchets qu’on appelle «stériles», parce que jugés peu radioactifs. «Stériles», pour cette petite femme tantôt rieuse tantôt grave, ça ne veut rien dire. Alors, en octobre 2017, quand elle n’a eu plus aucun doute quant au niveau d’émission repéré, Arlette est passée à l’action. A l’entrée du sentier, bien en vue des randonneurs, elle a installé un petit panneau avec le pictogramme du trisecteur – le «sigle nucléaire» – et marqué de l’inscription: «Chemin radioactif». «Ne rien dire serait de la non-assistance à personne en danger», renchérit la sexagénaire. Mais visiblement, dans la région, tout le monde ne partage pas son avis. «C’est le quatrième panneau que j’installe en un mois et demi. Les trois autres ont été arrachés.» Au village de Saint-Priest-la-Prugne, dans le département de la Loire, le passé est pour certains bien lourd à digérer.
Le temps, la végétation et les travaux des hommes ont pourtant presque tout effacé de l’exploitation de l’uranium. Dans les bois, près de l’ancienne mine, il reste bien quelques vestiges: un cylindre métallique ici, quelques plaques de béton par là, mais c’est à peu près tout. Les deux puits ont été détruits au milieu des années 2000. Le paysage est désormais englouti par une épaisse forêt, seulement trouée par un lac artificiel. A observer le bassin, bordé de résineux et de petites plages, il est presque étonnant, au premier regard, que les élus locaux n’aient pas eu l’idée de le transformer en base de loisirs. «Le meilleur point de vue sur le lac est le viaduc de l’ancien tacot», avait indiqué Arlette au téléphone. Accompagnée de deux de ses amis, Hélène et Jean-Pierre Piéchaud, c’est là que la retraitée nous a donné rendez-vous. D’entrée, sa voix est un peu résignée, presque mécanique. En plus de trente ans, aux visiteurs de passage ou aux journalistes, elle a dû faire des dizaines de fois l’amère description du site. «La nappe d’eau que vous voyez là recouvre 1,3 million de tonnes de déchets radioactifs, des résidus de l’ancienne mine d’uranium.» Le lac n’est en fait qu’un immense sarcophage! Pas surprenant qu’aucun espace de détente n’y ait jamais vu le jour.