Quand l'Iran rapatrie ses tonnes d'or (20/21)

© DR

En automne 2005, 250 tonnes d'or, que le régime des mollahs avait confiées au Crédit Suisse, sont chargées à bord de plusieurs avions à l'aéroport de Zurich-Kloten. Un énorme déplacement de fonds pour anticiper d'éventuelles sanctions occidentales contre son programme nucléaire.

«Pour anticiper d’éventuelles sanctions occidentales contre son programme nucléaire, l’Iran a rapatrié en automne 2005, depuis l’aéroport de Zurich, près de 250 tonnes d’or que le régime des mollahs avait confiées au Crédit Suisse, la deuxième banque helvétique. 250 tonnes et peut-être bien plus.» Telle est l’information exclusive que je publie le 30 mars 2006 à la une de La LibertéNon sans mal. Cet or a été embarqué dans le plus grand secret à l’aéroport de Zurich-Kloten en octobre et novembre 2005 par des avions charters iraniens. Le métal précieux provenait du Credit Suisse (CS) qui, lié par le secret bancaire helvétique, ne peut rien dire sur les activités de ses clients. Mais le Credit Suisse ne dément pas. La valeur de l’or rapatrié depuis Zurich est de quelque 5 milliards de francs suisses. Cet or iranien avait probablement été stocké dans un port franc, car il semble avoir échappé aux contrôles minutieux des douanes suisses. Plus étrange encore, les services officiels helvétiques interrogés affirment tout ignorer de cet énorme transfert d’or. Le métal précieux a été expédié par le Credit Suisse par avion directement à Téhéran, à la Banque Markazi, la Banque centrale d’Iran. Le transitaire était la compagnie suisse Danzas. Ce sont des avions charters affrétés par Iran Air qui sont venus chercher ces tonnes d’or à Zurich. Combien d’avions? Au moins trois. En effet, grâce à l’aide précieuse des observateurs d’avions, qui publient depuis quarante-six ans la revue mensuelle Jetstreamà Zurich, nous apprenons que trois avions charters d’Iran Air se sont posés à Kloten: un Boeing 747-200 Jumbo en octobre 2005 et deux Airbus A 300 en novembre. Pour le reste, il n’est pas exclu que Téhéran ait affrété d’autres charters d’autres compagnies emportant de l’or ou des fonds iraniens vers d’autres destinations. Selon l’Organisation des guérilleros fédaïs du peuple iranien (OGFPI), un mouvement communiste clandestin d’opposition au régime des mollahs, l’Iran a rapatrié depuis octobre 2005 700 tonnes d’or et plus de 20 milliards de dollars déposés dans des banques occidentales, mais cette information est impossible à confirmer. Cet énorme déplacement de fonds aurait été organisé afin d’éviter un éventuel blocage des fonds iraniens par les pays occidentaux qui veulent à tout prix faire cesser le programme d’enrichissement d’uranium de Téhéran. Cette opération financière démontre que l’Iran serait bien décidé à poursuivre ses expériences menant à l’arme nucléaire.

Toujours selon un dirigeant de l’OGFPI, les dirigeants iraniens se sont réunis au début de l’automne 2005 sous les auspices du guide suprême l’ayatollah Khamenei. Les conclusions de cette rencontre au sommet furent les suivantes: l’Iran continuera à enrichir de l’uranium. Bush bloqué en Irak et sa CIA affaiblie ne peuvent pas agir avec l’agressivité d’antan. Les Etats-Unis ont besoin de l’Iran s’ils veulent se désengager en Irak. Avec l’explosion du Likoud et la division de ses dirigeants, Israël est également en position de faiblesse. L’Iran doit profiter de cette situation favorable qui pourrait ne pas durer. L’Occident pourrait alors serrer les rangs contre Téhéran et décider comme première mesure un blocage des fonds iraniens. Il faut donc retirer les fonds iraniens déposés en Occident sans perdre de temps. 

Si Téhéran a bien sûr apporté un démenti à mes informations, plusieurs hauts personnages iraniens avaient évoqué au début 2006 la possibilité de rapatrier les fonds iraniens déposés en Europe pour éluder les sanctions occidentales. Ainsi, le 19 janvier 2006, le président de la Banque centrale d’Iran, Ebrahim Sheibani, avait affirmé: «Nous transférons nos réserves de tous les secteurs, notamment nos réserves provenant de recettes pétrolières, là où nous le jugeons nécessaire. Cela est en train d’être fait.» Le même jour, le ministre iranien de l’Economie et des Finances, Davoud Danesh Jafari, avait affirmé que les Occidentaux n’avaient pas le droit de bloquer les avoirs iraniens: «S’ils le faisaient, ce serait contraire à leurs intérêts car les pays pétroliers deviendraient anxieux et transféreraient leurs réserves financières vers des endroits plus sûrs.» Selon Asharq Al-Awsatle grand quotidien arabe paraissant à Londres, citant une source de la Banque centrale d’Iran, l’Iran a «décidé de retirer aux Européens la carte d’un gel de ses fonds en cas de confrontation politique ou militaire au sujet de son programme nucléaire». Le Conseil supérieur de la sécurité nationale d’Iran a ordonné à la Banque centrale, au Ministère du pétrole et aux institutions financières liées à l’Iran de transférer dans des banques asiatiques leurs fonds placés dans des banques européennes. Amusant: après le rapatriement des 250 tonnes d’or iranien déposées en Suisse, l’Union de Banques Suisses (UBS), la première banque helvétique, et le Credit Suisse annoncent, à la fin janvier 2006, qu’elles coupent leurs relations avec tout ou partie de leurs clients iraniens. Les grandes banques helvétiques ont-elles pris cette décision sur pression des Etats-Unis, pays où elles réalisent une bonne partie de leur chiffre d’affaires? On est en droit de le penser, d’autant qu’elles annonçaient le même jour la rupture de leurs relations avec la Syrie, pays classé dans «l’axe du mal» par George W. Bush. Mais l’UBS le nie: «Ce n’est pas une décision politique.» A noter que la décision du CS est moins radicale que celle de l’UBS. Le Credit Suisse ne renonce qu’à l’établissement de nouvelles relations privées avec des clients en Iran et en Syrie. En faisant bonne mine aux Etats-Unis sans se brouiller avec l’Iran, le CS limitait les risques des deux côtés. Ce qui n’a pas empêché la SEC, l’autorité de surveillance de la bourse américaine, d’inscrire le Credit Suisse, Syngenta et ABB sur la liste noire des entreprises ayant des relations avec «les Etats voyous», dont l’Iran, la Syrie, Cuba, la Corée du Nord et le Soudan.

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Le logo du gendarme boursier de Wall Street, la SEC (Securities and Exchange Commission). © U.S. Government

Cette enquête sur l’or iranien mérite d’être disséquée. Sur mon insistance, les guérilléros des fedayin finissent par me montrer les preuves écrites, venant de la Banque centrale d’Iran, que 250 tonnes d’or ont bel et bien été embarquées à Kloten pour Téhéran. Mais comment obtenir les confirmations en Suisse alors que les services officiels jurent tout ignorer de ces transferts? Aux douanes helvétiques, le Service des métaux précieux me rappelle que les statistiques sur le commerce de l’or ont été classifiées secrètes par le Conseil fédéral. Sur mon insistance, les douanes me confient que les exportations d’or vers l’Iran ne dépassaient guère la tonne en 2005. Alors, j’ai tout faux? Pas nécessairement, car il est possible que ces 250 tonnes ne soient jamais rentrées en Suisse, qu’elles aient été stockées hors douane dans les ports francs de Zurich ou Genève. Je respire. Mais ni les Affaires étrangères ni la Police fédérale ne sont au courant. J’ai cependant encore un espoir car de tels contrôles, à Kloten, sont du ressort de la police zurichoise. Là, très vite, une source finira par me confirmer le passage des trois appareils d’Iran Air, avec les dates qui concordent. Ces trois appareils ont été remarqués par les observateurs d’avions de Jetstreamcar il est exceptionnel que des avions d’Iran Air atterrissent à Zurich-Kloten. Je retrouve et publie la photo du dernier Airbus, prise par un photographe amateur sur le tarmac de Zurich. Ces avions ont-ils chargé de l’or? Ma source me promet une réponse, mais plus tard. J’envoie mon projet d’article au Credit Suisse qui m’explique que la grande banque n’a pas le droit de confirmer mes informations. Le ferait-elle qu’elle violerait le secret bancaire helvétique. Mais une source au Credit Suisse a l’honnêteté de me dire que mon enquête lui semble «bien recherchée». Je n’ai bien sûr pas le droit de la citer. Je fais mes comptes: j’ai au moins deux sources et je publie. Un mois plus tard, durant mes vacances, un ami de la Police fédérale me téléphone en France: «Dis voir, ton information sur l’or iranien on n’arrive pas à 250 tonnes d’or, mais on en n’est pas loin.» Une année plus tard, c’est un diplomate des Affaires étrangères qui confirmera. Ces confirmations, même tardives, me consolent un peu du misérable impact de mon enquête: quelques reprises dans la presse internationale mais quasiment rien dans la presse suisse. Un flop désespérant! Pourquoi? Parce que l’Agence télégraphique suisse (ATS) ne l’a pas reprise. J’ai appelé l’agence nationale qui m’a répondu qu’elle ne pouvait pas reprendre cette information puisque ni le Credit Suisse ni aucun service officiel ne l’avaient confirmée. Je fais remarquer que la grande banque n’avait pas le droit de la confirmer, mais qu’elle avait celui de la démentir, ce qu’elle s’était bien gardée de faire. En vain. L’ATS a ses règles qui, dans ce cas-là, ont réduit en miettes une information d’importance stratégique. Combien d’informations tombent-elles dans l’indifférence à cause de la prudence de la très gouvernementale ATS?

Créée le 8 février 1971, à la suite d’une insurrection contre le régime du shah, l’Organisation des guérilleros fedaïs du peuple iranien (OGFPI) a connu une importante scission lors de la prise de pouvoir par le régime islamique. Une majorité, rejoignant le parti communiste Toudeh, prit au départ la défense de la République islamique. Une minorité, l’actuelle organisation, mène depuis lors la lutte clandestine contre le pouvoir des mollahs. Depuis vingt ans, l’OGFPI a multiplié les occupations d’ambassades iraniennes en Europe. J’ai fait la connaissance de ses dirigeants en janvier 1989, lorsque ses militants ont occupé le consulat d’Iran à Genève, ce qui avait permis au BRRI de publier l’information suivante le 23 janvier 1989: «Manoucher Talé, consul de la République d’Iran à Genève, espionne et dénonce ses compatriotes réfugiés en Suisse. Un avocat suisse se proposait de lui vendre pour 5’000 francs seulement une liste de police comprenant 5’000 noms d’Iraniens réfugiés sur le territoire helvétique. Un franc par tête désignée à Khomeyni!» Pour vérifier cette information le 23 janvier 1989, le BRRI avait deux sortes de sources: des documents et des relevés de conversations téléphoniques. En effet, lorsqu’ils occupent le consulat d’Iran à Genève le 14 décembre 1988, six militants de l’organisation lisent par téléphone à des amis qui les enregistrent tous les documents qui leur tombent sous la main et sont signés par le consul. Malins, ils se doutent bien que le téléphone du consulat est écouté par les Suisses, et peut-être aussi par les Américains; leurs révélations ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Avant d’être arrêtés quatre heures plus tard par la police genevoise venue libérer le consul Talé et trois de ses collaborateurs séquestrés, les militants ont eu le temps de subtiliser quelques documents et même de «faucher» le port d’arme du consul qui gardait dans son coffre-fort un Beretta 9 mm. Plus tard, un responsable de l’OGFPI enverra une copie des documents substitués au BRRI. Dans une lettre du 3 septembre 1988, Talé envoie à Téhéran les noms d’Israéliens travaillant à Genève et pouvant avoir des contacts avec le Mossad, les Services secrets israéliens. Les occupants du consulat ont aussi envoyé aux Affaires étrangères une copie de tous les documents subtilisés, prouvant que le consulat d’Iran est un centre d’espionnage et d’achat d’armes. Le 26 janvier 1989, le consul d’Iran affirme que ces documents sont des faux créés de toutes pièces. Les avocats de l’Iran menacent de porter plainte contre le BRRI pour usage de faux, et affirment que les occupants ont volé 25’000 francs au consulat. Ces plaintes et dénégations ne sont nullement convaincantes et l’Iran n’attaquera pas le BRRI. La Police fédérale a constaté que Talé se livrait bel et bien à des activités de renseignement et tentait d’obtenir des armes pour l’Iran, notamment des avions et des hélicoptères, par le biais d’un homme d’affaires libanais de Genève, spécialisé dans les bijoux et les pierres précieuses. Le consul doit regagner l’Iran d’ici à fin mars 1989. Pour ne pas trop vexer l’Iran, Berne lui a laissé le temps de rappeler son consul. A la mi-janvier 1989, les six occupants du consulat sont condamnés par un tribunal genevois à quatre mois de prison avec sursis, une peine pour le moins clémente.

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24 Heures, le 23 janvier 1989.  © Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne

Jeune journaliste, j’ai publié divers articles contre les violences et les activités d’espionnage de la Savak, la police du shah. Plus tard, tout naturellement, la Perse me fascinant, j’ai continué à suivre avec obstination l’actualité de ce pays. J’ai dénoncé l’autoritarisme de la République islamique, plus sanguinaire encore que le régime impérial renversé. Le 12 mars 2005, je consacre par exemple une page de La Liberté à l’argent des mollahs qui ont confisqué pour eux et leurs familles d’énormes pans de l’économie du pays, de 40 à plus de 50% selon les sources. Il y a d’abord la Fondation des déshérités ou Mostazafan Foundation, qui possède les biens confisqués à la famille du shah et aux réfugiés iraniens en exil. De somptueux hôtels et de nombreux bâtiments, le plus souvent situés dans l’opulent nord de Téhéran. La fondation possède aussi des banques privées, des usines et des écoles de formation. Moshen Rafiq Doost, ancien chauffeur de l’ayatollah Khomeyni devenu ministre des Pasdarans, a démissionné d’un poste clé de la Fondation des déshérités pour fonder la Noor Foundation. Cette dernière institution est une copie conforme de la première, mais fonctionne sur une base entièrement privée. De nombreux directeurs de la Fondation des déshérités, proches de Moshen Raft Doost, sont venus occuper des postes importants dans la nouvelle fondation à des salaires plus élevés. La nouvelle institution achète des compagnies dans les domaines les plus divers afin d’étendre son influence financière. Après une courte disgrâce officielle, les directeurs religieux des sociétés Noor, profitant de leurs étroites relations avec les dirigeants de la République islamique, ont rapidement connu réussite et richesse, obtenant nombre de contrats nationaux à la barbe de puissants concurrents. Les pots-de-vin distribués par ces champions du trafic d’influence seraient inégalables. Active en Iran mais aussi dans tout le Proche-Orient, Noor est spécialisée dans les mines, les matériaux de construction, la pêche, l’industrie de la porcelaine, etc. Elle représente officiellement nombre de compagnies étrangères comme Alcatel ou Thuraya. Un fils de Rafiq Doost, Saeed, a le monopole des importations de parfums, cosmétiques et autres produits de luxe. L’ayatollah Rafsandjani, ancien président iranien, l’une des puissances économiques du pays, a la haute main sur Pars Khodro, la plus grande fabrique d’automobiles d’Iran. Outre des banques, notamment à Dubaï, il possède aussi le monopole des droits d'importations des téléphones Nokia et une usine de Coca-Cola et de Canada Dry dans la ville de Mashad. Le mollah Karoubi, ancien président du Parlement iranien, possède la moitié des mines de mercure de la ville de Kerman. Le Mouvement de la coalition islamique, dirigé par l’ancien ministre de l’Economie Asgaroladi, est propriétaire, entre autres, de la fabrique de souliers Bella Shoe qui emploie 4’000 ouvriers. Autre mollah en or massif: l’ayatollah Vaez Tabasi, tuteur de la puissante fondation Astan-e Qods Razavi (sanctuaire sacré le l’imam Reza). Cette institution gère une fortune de 50 milliards de francs suisses. Pétrole, agroalimentaire, tapis et textiles, médicaments, transports, matériaux de construction, universités, hôpitaux, Astan-e Qods est présente partout. La réalisatrice française Maryse Mano a tourné dans la ville sainte de Mashad, le Lourdes de l’Iran, où est enterré le huitième imam chiite Reza. Quatorze millions de pèlerins annuels y couvrent d’or la fondation Astan-e Qods, dont le tuteur est Tabasi, lui-même parent du guide suprême Khamenei. La fondation possède le sol de toute la ville de Mashad (4 millions d’habitants), 700’000 ha cultivés, des usines de toutes sortes (biscuits, conserves et chocolat par exemple). Elle emploie 300’000 personnes. Sa plus surprenante rencontre, Maryse Mano l’a faite sur l’île de Kish, dans le golfe Persique, où les mollahs conservateurs ont installé une zone franche qui permet de faire du capitalisme en toute liberté, hors taxes nationales, hors diktat islamique trop rigide. Un quart du commerce iranien passe par Kish, ce centre de contrebande légal; 72 compagnies internationales y ont élu domicile dont Total, Agip, Shell et même Halliburton, l’ex-compagnie du faucon Dick Cheney, alors vice-président des Etats-Unis. Oui, même Halliburton, ce fleuron du lobby militaro-industriel de George W. Bush, cette compagnie omniprésente en Irak.

L’argent étant le nerf du régime islamique, ses opposants comme les guérilléros fedaïs ont bien compris que, pour faire mal aux mollahs, il fallait s’attaquer à leurs empires financiers. Ils s’en sont donné à cœur joie. Voici l’histoire: les militants de l’OGFPI créent à Paris le bureau de change Sedigi, spécialisé dans les transactions avec l’Iran. Six personnes y travaillent, jouant tour à tour le rôle du directeur. Suivant les clients reçus, il y a un barbu islamique, un anglophone cravaté, un Français distingué, etc. Petit à petit, le bureau Sedigi gagne la confiance des sociétés françaises travaillant avec l’Iran et même celle de l’Ambassade d’Iran à Paris. Il accumule une foule d’informations et tisse des liens spéciaux avec Hedayat Ashtari Larki, directeur de la banque iranienne Sepah à Paris. Les militants savent que cet homme est aussi l’un des responsables du Service de renseignements de la République islamique en France. Il avait la confiance de Téhéran à tel point qu’il faisait partie de la délégation iranienne envoyée à Paris pour négocier l’achat d’armes et de radars français Razit de surveillance au sol. L’un des dirigeant de l’OGFPI, appelons-le Bahram (Hossein Zohari), a purgé cinq ans de prison sous le shah et échappé à trois reprises en France aux tueurs de la République islamique. Il parvient à nouer des relations avec Ashtari Larki en lui payant une maison à Téhéran. En contrepartie, ce dernier fournit des clients au bureau de change Sedigi et de précieuses informations, surtout sur les réfugiés iraniens en Europe, qui ont conclu des accords avec le régime islamique. L’OGFPI apprend aussi que les locaux de la banque Sepah de Paris servent de refuge à des montagnes de pierres précieuses permettant de cautionner les achats de Téhéran en France. Et soudain, les opposants iraniens ferment leur bureau de change de Paris, entraînant avec eux dans la clandestinité Hedayat Ashtari Larki. L’Organisation fedaïs se replie avec de nombreux documents secrets compromettant aussi bien Paris que Téhéran. Au passage, les clandestins mettent la main sur un trésor de guerre de 15 millions de dollars appartenant à la République islamique d’Iran. Les maîtres de l’Iran sont furieux et font pression sur la France pour que ces empêcheurs de commercer en rond soient réduits au silence. Avec succès. Les militants, menacés par des agents des Services secrets iraniens (la SAWAMA) en France, finiront par quitter le pays. Ce qui ne les empêche pas de continuer à divulguer nombre de documents sur l’intense commerce franco-iranien: vente de missiles, de satellites de communication, d’Airbus, d’une fabrique de Peugeot 405, du métro et de la fourniture d’électricité de Téhéran, d’une bonne partie des installations téléphoniques iraniennes, de deux ports mis à la disposition de la France, de contrats pétroliers accordés à Total et Elf Aquitaine. En 1995, l’OGFPI avait notamment dénoncé les ventes illicites de pétrole irakien par des sociétés franco-iraniennes. En 2007, les dirigeants du bureau de change Sedigi sont condamnés à de la prison en France, en leur absence.

Connaissez-vous ce pont d’Ispahan où, le jour du Seigneur durant, des passants anonymes viennent chanter leur nostalgie? Et la ville de Chiraz qui honore ses poètes comme nulle autre, leur construisant des mausolées où défilent les foules? La Perse est aussi ce pays d’une grande poésie, d’une douceur étrange, d’une incroyable hospitalité, que j’ai parcouru plusieurs fois ces dernières années, sans subir de représailles pour mes articles. Le 26 décembre 2003, je suis à Ispahan avec ma famille lorsque survient le tremblement de terre de Bam qui tue 35’000 habitants de la ville et en blesse grièvement 17’000 autres; 8’000 élèves ont disparu et 3’000 sont orphelins. La citadelle de Bam était le but de notre voyage. J’ai renoncé à me rendre sur place car je déteste le journalisme-catastrophe, mais nous sommes retournés à Bam six mois plus tard avec mon ami Alain Wicht, photographe de La Liberté. Tous les journalistes de la presse internationale sont rentrés chez eux de longue date, restent les ruines, la misère et la désolation. Les promesses de dons faites pour Noël 2003 n’ont guère été tenues. Les planificateurs de Téhéran ont fait construire autour de Bam de gigantesques camps de maisons de fortune préfabriquées. Ces villes fantômes sont quasiment vides. Les rescapés du séisme de Bam sont restés dans leur ville. Combien sont-ils? 50’000, 80’000? Tout est flou dans ce Bam dévasté à 90%, même les chiffres qui ne cessent de fluctuer selon les interlocuteurs. Les rescapés vivent dans des tentes alignées près de leurs maisons en ruine, dans des containers, des abris délabrés. Les camions et véhicules pourris qui menacent leurs enfants, la poussière et la pollution infernales, la chaleur écrasante qui dépasse les 45 degrés, rien ne leur fera abandonner «leur» place. Pourquoi? Un homme explique qu’il ne veut pas s’éloigner de la parcelle où sont morts les siens. Un autre dit en montrant un tas de gravats: «Je suis né là, je veux y mourir, c’est chez moi.» Et puis, le long des rues, il y a souvent de l’eau et de l’électricité. Il y a aussi les autres victimes que l’on connaît. Ensemble, on est moins perdus, on a moins peur des voleurs. Cette proximité permet une double surveillance, celle de son lopin dévasté et, pour les plus chanceux, celle de quelques palmiers dattiers qui ont survécu au fond du jardin. Ces dattes de Bam, rondes et moelleuses, sont les meilleures du monde et représentent 80% de l’économie de l’oasis. Ici, une quarantaine de dattiers permettent à une famille moyenne de survivre toute l’année. La datte est un trésor qu’il faut protéger coûte que coûte. Et, comme les autorités ont annoncé qu’elles profiteraient de la reconstruction pour agrandir les routes, chacun se place en sentinelle pour éviter que l’on ne touche à son terrain.

A fin mars 2004, alors que les journalistes-catastrophes étaient déjà repartis depuis longtemps, Bam a connu une brève révolte de détresse. Quelques milliers de rescapés ont protesté contre les lenteurs des travaux de déblaiement et de reconstruction. Ils se sont surtout opposés au plan gouvernemental de vider la ville de ses habitants afin de faciliter les travaux de réfection. Si le Gouvernement de Téhéran a répondu à cette révolte par des troupes et la police (il y aurait eu deux morts et des blessés), il a dû plier devant la détermination des miséreux et modifier ses plans technocratiques; étonnante victoire démocratique dans ce pays autoritaire! Mais il reste, en plus des infrastructures, 20’000 maisons à reconstruire. Et, comme un malheur ne vient jamais seul, une visite à l’hôpital psychiatrique de Bam nous permet de constater une formidable augmentation des problèmes de drogue. Les seuls prix qui baissent dans la région sont ceux de l’opium et de l’héroïne, venant de l’Afghanistan tout proche. Selon les médecins rencontrés, 30% des jeunes hommes entrent 20 et 30 ans se droguent. L’accueil que la population nous a réservé dans ce Bam oublié est incroyable. Les rescapés, qui ont vu toute la presse internationale déferler sur leurs ruines à la fin de 2003, se sentent abandonnés. Tellement heureux de revoir des journalistes étrangers, des chauffeurs de taxi nous ont transportés gratuitement. Parfois, dans ce métier, arriver avant ou après l’actualité permet de découvrir une autre réalité, celle qui échappe aux caméras du monde. Plusieurs journaux, dont Libération, ont publié notre reportage à Bam. Nous y sommes allés pour savoir si la communauté internationale et l’Unesco allaient tenir leurs promesses de reconstruire la fameuse citadelle qui permit de tourner en 1975 le Désert des TartaresSur place, face au drame humain, le sujet nous a paru mineur.