Presse Diesbach Presse Diesbach
Roger de Diesbach, rédacteur en chef de 1996 à 2004 du quotidien romand La Liberté, est décédé à l'âge de 65 ans, le 21 septembre 2009. © Keystone / La Liberté / Vincent Murith

Contre-pied et contre-courant (21/21)

Dans le dernier chapitre de son livre «Presse futile, presse inutile», Roger de Diesbach (1944-2009) termine son plaidoyer pour le journalisme d'investigation par un bref rappel historique de la situation de la presse francophone suisse, et sur les raisons pour lesquelles il croit en l'avenir de la presse écrite... à condition de lui garder tout son sens, d'améliorer encore sa qualité, son originalité et ses prestations au service de l'information et de l'intérêt général.

La vérité officielle, parfois contestable ou même mensongère, est souvent ennuyeuse. Impossible de résister à la tentation de la vérifier, de la compléter, de la contester s’il y a lieu, de la pimenter. La déformation professionnelle du journaliste d’investigation est d’attacher davantage d’importance aux silences qu’aux messages délivrés. Il est parfois bon d’inverser la lorgnette, de trouver le petit fait divers révélateur qui jettera une lumière différente sur la vérité selon les saints pouvoirs. On ne peut pas faire ce journalisme-là sans esprit critique, sans aller à contre-courant, casser des certitudes, sans prendre le contre-pied des dogmes de l’officialité, sans un sens certain de la provocation. Et tant mieux si cela permet de travailler en s’amusant. Mais le journaliste doit aussi savoir prendre le contre-pied de la presse, si souvent politiquement correcte. Il devrait parvenir à rire de lui-même, à reconnaître ses dérapages, à apprendre de ses erreurs. Des erreurs? J’en ai commis bien sûr. Je me suis parfois laissé emporter par mes causes jusqu’au lobbyisme, pour la défense de Swissair notamment. Des affaires comme celle de Jean-François Bourgknecht ou d’Elisabeth Kopp m’ont appris à me méfier de la presse lorsqu’elle chassait les sorcières en meute. Il faut assurément de l’originalité et un solide esprit de contradiction pour faire ce métier. Donner la parole aux petits, aux victimes, aux sans voix fait la noblesse du journalisme, mais faire parler les méchants est tout aussi captivant. Voici quelques exemples d’informations à contre-courant.

Major dans l’armée suisse, le Zurichois Ernst Cincera traque les gauchistes du pays, les met en fiches et livre des informations à différents clients, dont Nestlé. Inutile de préciser qu’Ernst Cincera est traité comme un pestiféré par une écrasante partie de la presse suisse. Le 28 janvier 1977, comme la publication de son dernier livre est interdite, je lui donne la parole dans la TLM. Après avoir tapé sur son juge d’instruction, «un ancien gauchiste qui aurait dû se récuser», Cincera dénonce les méthodes utilisées par les groupuscules socialo-communistes pour infiltrer les grands partis de gauche: «Ils se camouflent toujours pour garder l’image de l’innocence; ils utilisent sans cesse les termes "paix, liberté, démocratie, progrès" pour atteindre leurs objectifs; pour défendre leurs causes, ils font appel à des tiers jouissant de la confiance de l’opinion, ce qui leur permet de garder secrets leurs objectifs finaux; ils pénètrent les institutions afin de détruire le pouvoir petit à petit.» On m’a reproché d’avoir fait de la publicité pour Ernst Cincera. Mais, en plaçant cet agent de l’ombre sous les feux publics, j’ai peut-être contribué à le démystifier.

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