Le troisième homme (1/2)

Au printemps 1939, Winston Churchill fonde une organisation top secret. Son objectif: organiser la destruction de la machine de guerre d’Hitler grâce à des super-armes. Une histoire qui aurait inspiré à Ian Fleming le personnage de Q dans sa série James Bond.

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Le Premier ministre Winston Churchill teste lui-même la nouvelle arme sortie d'usine lors d'une visite à la Station expérimentale d'artillerie royale de Shoeburyness, dans l'Essex, le 13 juin 1941.© DR

Cecil Clarke ressentait pour sa caravane l’amour fou qu’un homme éprouve en général pour sa femme. Il était aux petits soins avec elle, la bichonnait, faisait reluire sa carrosserie beurre frais en la recouvrant généreusement de cire pour automobile Richfield. Haute de plus de quatre mètres, la caravane dépassait les bus londoniens à impériale, et son châssis surbaissé était une innovation technique révolutionnaire. Mais sa vraie beauté était son luxueux intérieur. Il y avait des toilettes, plusieurs chambres, une salle de douche, l’eau courante chaude et froide, un générateur maison. Un bar très bien garni. Pas étonnant que Cecil l’ait surnommée le «Pullman des routes».

Il avait construit sa caravane chez lui, dans son atelier de Bedford. Les week-ends, il l’accrochait derrière sa grosse automobile pour l’emmener faire des parcours d’essai sur route, fonçant dans la campagne avec sa femme, Dorothy, cramponnée au tableau de bord, et leurs deux fils, John et David, qui faisaient les fous à l’arrière. Quand leur père annonça qu’ils partaient tous en vacances dans le nord du pays de Galles, les deux garçons poussèrent des cris de joie. Il y eut quelques moments difficiles à la sortie de Bedford: Cecil avait surélevé la caravane pour ajouter une couchette, si bien qu’il fallait s’arrêter à tous les ponts pour s’assurer qu’elle passait. Une fois qu’ils furent en pleine campagne, le conducteur se décontracta. Devenu «tout à fait blasé», il se contentait de «foncer à toute allure quand il voyait un pont heureusement sans jamais causer trop de dégâts». Quand on pense que John et David grimpaient sur le toit «d’où ils avaient une très belle vue», on s’étonne qu’il ne se soit pas plus inquiété.

Cecil Clarke, «Nobby» pour les intimes, avait fondé sa société Lolode (la Low Loading Trailer Company) à la fin des années 1930. Il était l’ingénieur de l’entreprise, et Madame Clarke se chargeait du secrétariat. Toutes les caravanes de LoLode étaient équipées du système de suspension breveté qui garantissait aux passagers un confort incomparable. Cette invention faisait la fierté de Clarke, car il en avait élaboré les plans, en était le styliste et le mécanicien. Clarke était un homme solide et lent, un bon gros géant à lunettes, à la charpente lourde et aux mains capables. Moitié génie, moitié savant distrait, c’était une sorte de professeur Cosinus grand fumeur et fervent patriote. Il amusait ses voisins qui l’aimaient bien: «Il représentait un certain idéal, voulant toujours à sa façon améliorer la société.» Car pour Cecil, «améliorer la société», c’était lui offrir des caravanes plus confortables. Ses voisins de Bedford se lançaient des regards attendris en voyant «Nobby» lustrer ses carrosseries chéries, sans comprendre qu’ils avaient devant eux un magicien de génie. En effet, son cœur ne faisait pas seulement boum! pour les caravanes. Jeune engagé volontaire lors de la Première Guerre mondiale, il avait été affecté à un bataillon de pionniers et était devenu artificier. Il aimait «que ça saute» et se vit décerner la croix militaire pour sa participation explosive à la bataille de Vittorio Veneto. Bien qu’ayant réintégré la vie civile un peu plus facilement que ses compagnons d’armes, il continuait pourtant, dans un coin de sa tête, à avoir envie de tout faire péter.

Au cours de l’été 1937, Clarke avait placé une publicité pour LoLode dans sa revue préférée, Caravan and Trailer le magazine des caravanes et des remorques. La description qu’il donnait de son produit était la suivante: «véhicule d’habitation de trois couchettes de conception très moderne». Il y avait même un habitacle pour les domestiques à l’arrière. Or le rédacteur en chef de Caravan and Trailer était un certain Stuart Macrae, ingénieur en aéronautique de formation tombé par accident dans le journalisme. Il avait été intrigué par les photos de l’étrange création de Clarke et avait eu envie de lui rendre visite à Bedford. Il avait même pris sa journée pour faire le déplacement. Il avait tout d’abord été déçu. C’était, rapporte-t-il, «un homme très gros à l’élocution hésitante qui me parut certes sympathique, mais pas d’une intelligence exceptionnelle». Il changea très vite d’avis. Clarke avait le cerveau en accordéon: il aspirait les idées, les brassait, puis les expulsait en produisant un résultat nettement plus harmonieux. Pour lui, il n’y avait pas de problème qui n’ait pas de solution. Clarke avait emmené Macrae dans son garage pour lui montrer «son dernier bébé». C’était une construction beaucoup plus volumineuse qu’elle n’en avait l’air sur les photos, et «aérodynamique par-dessus le marché». Macrae n’en revenait pas: il avait l’impression de se trouver face à «un engin venu du futur». Clarke lui proposa de faire un tour d’essai dans la campagne du Bedfordshire pour tester le confort de la caravane. Macrae se mit à l’aise sur les coussins Dunlopillo et se rinça gentiment le gosier avec les bonnes bouteilles du bar. Et comme «il n’était pas question d’alcootests à l’époque» et que personne ne voyait d’un mauvais œil l’alcool au volant, il put rentrer à Londres sans crainte de se faire contrôler.

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