L’oncle Hô n’est pas mort (3/3)

La complexité du Viêtnam se mesure à la diversité de sa population, réunie sous une même bannière et combattant l’envahisseur avec une détermination identique, qu’il vienne d’Orient ou d’Occident.

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L’austère mausolée dans lequel repose Ho Chi Minh n’est pas à son image, mais à la gloire du régime qui lui a succédé.© Gérard A. Jaeger

C’est toujours par la route que nous poursuivons notre chemin en direction de la capitale. Les heures passent et les paysages montagneux, la forêt tropicale et les terres arables contaminées par les dispersions chimiques de la guerre défilent sous nos yeux. En de nombreux endroits que nous traversons et profitons de visiter, je découvre des espaces consacrés aux reliefs du conflit mené contre les Etats-Unis voilà plus de cinquante ans: camions, chars, hélicoptères et canons finissent de rouiller dans un anonymat de plus en plus avéré. Même les célèbres tunnels de Cu Chi, situés à l’ouest de Saigon, n’attirent plus désormais que les touristes étrangers. L’ingéniosité de ces constructions souterraines et la résilience des combattants vietnamiens nous laissent néanmoins admiratifs; nous comprenons mieux l’efficacité de leur stratégie et ne sommes pas surpris de leurs victoires, tant sur les Français que sur les Américains. Le maquis leur a toujours appartenu, la jungle et les réseaux souterrains où sont conservés salles de réunion, hôpitaux et cuisines en témoignent avec force.

Passée l’ancienne ligne de démarcation, qui courrait le long du 17e parallèle, nous entrons véritablement dans le Viêtnam communiste. La transition est presque brutale, je ne retrouve ni la jovialité des douces terres du Sud ni l’entregent de leurs habitants. Ici, dans ce qui étaient l’Annam et le Tonkin, il semble qu’on se méfie des Occidentaux. Les physionomies ont changé, un rictus barre les visages durcis par le climat et la rudesse de la topographie, et dans les yeux court un air de supériorité ancestrale. Certains guides osent à voix basse parler de jalousie et de revanche face aux «frères ennemis» de la Cochinchine heureuse et de la terre de Cocagne annamite. C’est ici aussi qu’est né le patriotisme belliqueux des pères fondateurs de l’indépendance et que s’est enraciné le communisme dont Saigon ne voulait pas et contre lequel elle résiste encore dans les faits, avec une constance maligne.

C’est au début des années 1920 que le jeune lettré Hô Chi Minh embrassa pour sa part la cause du nationalisme. Formé d’abord en France, où il participa à la création du Parti communiste, puis en Chine une dizaine d’années plus tard, il paracheva son éducation politique en Union soviétique. De retour dans le maquis vietnamien en 1941, il créa le Viêt-Minh dans le but de fédérer toutes les régions du pays dans l’idée d’une future autodétermination. En 1946, à peine élu président, il fit reconnaître par la France l’Etat libre du Viêtnam. La politique l’avait emporté sur l’activisme, dont l’oncle Hô n’était pas porteur du gène. A tel point qu’il évita tout contact avec ses anciens camarades de parti lors de la conférence de Fontainebleau, craignant qu’on lui reproche la scission de son pays et l’allégeance au colonisateur avec lequel il s’apprêtait à signer. Or, ce qui devait confirmer l’accord de pacification se conclut par un cuisant échec, en raison d’une contestation française favorable au maintien de l’intégrité coloniale. Malgré les efforts de la délégation vietnamienne présidée par Hô Chi Minh, les plus farouches opposants au traité d’autodétermination échauffèrent les esprits de part et d’autre et ranimèrent les vieux antagonismes. L’année 1947 ouvrit donc une ère de troubles armés qui allait conduire à la capitulation française de Diên Biên Phu, prémices aux Accords de Genève sur une partition définitive du pays, puis à l’intervention américaine dans le but de rétablir au sud du 17e parallèle une zone d’influence occidentale destinée à barrer la route aux rouges. C’est à cette époque-là que l’oncle Hô s’imposa d’abord comme le guide pacifique et pondéré d’une indépendance négociée. Pour prévenir une guerre ouverte. Or, balayée d’un trait de plume par Washington, la tentative politique du leader charismatique échoua pour se transformer dans les années 1960 en un génocide annoncé, du nord au sud de la péninsule.

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