«Tu as déjà vu un silure glane? Les grands sont de vrais monstres! Certains font plus de 70 kilos. Ils se cachent sous le pont, là où le lit de la rivière a été creusé par les bombes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Tapis dans la vase de ces trous, leurs longs barbillons aux aguets, ils guettent leur proie sur laquelle ils se lancent gueule ouverte. Leur victime disparaît en quelques secondes entre leurs dents tranchantes.»
Le pêcheur se retourne vers l’eau, tire sur sa canne. Ce n’est pas un silure qui mord à l’hameçon, son filet s’est emmêlé dans des herbiers longs et denses qui abondent dans cette partie du fleuve.
Pêcher l’après-midi est une habitude de longue date pour Savo Mačak. Cet ancien officier de l’armée serbe se rend quasiment tous les jours sur les berges de la Save qui coupe Belgrade en deux. Son lieu préféré pour taquiner le poisson se trouve juste au-dessous du pont de Brankov, un colosse métallique vert qui enjambe le cours d’eau au cœur de la capitale.
Du haut de ses 68 ans, Savo est en pleine forme. Les cheveux poivre et sel, les épaules légèrement courbées sous une chemise déboutonnée, il a le teint hâlé de celui qui passe ses journées au soleil.
La ligne finit par se rompre; l'hameçon est perdu, coincé dans les herbes verdâtres. Pas de quoi contrarier Savo. De sa boîte remplie d'appâts, il sort un petit poisson en caoutchouc qui scintille au soleil et l’attache au fil, doucement. «La pêche, c’est surtout un moyen d’échapper à ma femme. Si je reste à la maison, elle m'oblige à participer aux corvées», plaisante-t-il.
Passe-temps aujourd’hui, cette activité fut surtout une source obligée de nourriture pendant la guerre de Yougoslavie, quand la Serbie était sous embargo international et que le dinar ne valait presque rien. Quelques poissons attrapés dans les eaux de la Save, quelques pommes de terre de son potager, et en voilà un repas.