Les photographes savent rendre concrète la réalité en exposant les spectateurs à la souffrance humaine dans telle ou telle région reculée de la planète. Au risque de chosifier ceux qui souffrent en les cantonnant au rôle de victimes. Mais ce biais est jugé acceptable en tant que moyen rapide et relativement facile de susciter la compassion, voire la pitié, dans la plus grande partie du monde.
Ce sont ces photos éclairantes que réalise Sebastião Salgado, depuis qu’il a fui avec sa femme Lélia son Brésil natal où il travaillait comme économiste pour devenir photographe et créer une imagerie susceptible de provoquer de larges débats. Dans son plus récent projet pluriannuel, Genesis, il montre la sauvage beauté et par endroits l’extraordinaire simplicité de la planète, exaltant la splendeur intacte de son passé pour inviter à un débat approfondi sur la nécessité de préserver son avenir.
Dans un projet antérieur, Migrations, il explorait les conditions précaires des populations déplacées dans le monde, dont le nombre a explosé ces dernières années. Dans la Main de l’Homme, il s’interrogeait sur ce que l’humanité a perdu en passant des traditions millénaires du travail manuel à l’efficacité brutale des machines et des ordinateurs. Et dans Autres Amériques, il offrait en poète une méditation sur les relations complexes des paysans latino-américains avec la vie et la mort. «Dans le miroir tendu par le photographe, dans ce rapport dialectique à l’autre, le spectateur est amené à se demander non seulement en quoi il peut être de quelque utilité, mais aussi si sa propre culture d’abondance n’est pas la plus malade des deux.»