Slovénie effacés Slovénie effacés
Né au Monténégro, Budimir Vukovic, qui vit en Slovénie depuis les années 70, est toujours en attente d'un permis de résidence permanent.© Pierre-Anthony Canovas

La longue quête de justice des «effacés»

Un jour de février 1992, la Slovénie a supprimé du registre de ses résidents permanents près de 25'000 personnes. La raison: l’expiration du délai fixé pour demander la citoyenneté du pays fraîchement indépendant. Plus d’un quart de siècle après les faits, les cicatrices ne sont pas totalement refermées pour ces «effacés».

Assise au bar du musée d’art moderne de Ljubljana, Aleksandra Todorovic Novak a la mine grave: «L’histoire ne peut pas s’arrêter là, ce n’est pas possible. Pire, les plus jeunes d’entre nous ne la connaissent même pas.» L'étudiante en zoologie aux longs cheveux bruns épais et piercing à la lèvre inférieure qui dénonce l'injustice, les jugements erronés et demande réparation pour son père a pourtant à peine plus de 25 ans. Sauf qu'elle est la fille de l'une des figures de proue des mouvements en faveur de la réhabilitation des «effacés» de Slovénie et qu’elle est impliquée, malgré elle, dans ce combat depuis sa naissance en 1993. Ce jour-là, son père Aleksander Todorovic se voit signifier une fin de non-recevoir de l’administration locale au moment de déclarer son bébé dans la petite ville de Ptuj, au nord-est du pays. L’entrepreneur de 37 ans apprend alors qu’il n'existe pas administrativement, qu’il est de facto un citoyen illégal. L’officier d’Etat civil inscrit donc la mention «de père inconnu» dans le registre. Un choc terrible pour cet homme qui a perdu d'un seul coup son identité et la légitimité de sa paternité. Cette situation inique et particulièrement dramatique, des milliers d’hommes et de femmes à travers la Slovénie l’ont également vécue après la chute de l'URSS et l'éclatement de la Yougoslavie.

Comme Budimir Vukovic. En ce printemps 1993, la charmante capitale slovène où ce grand Serbe barbu, né au Monténégro, réside et travaille en tant que chauffeur de taxi commence à s'animer. Lors d'un banal contrôle de routine, Budimir, qui vit en Slovénie depuis les années 70, se fait arrêter par la police qui lui passe les menottes, détruit ses papiers et le déferre devant un juge. Menacé d'expulsion - une sanction qui ne sera jamais appliquée -, il restera de longs mois dans un centre pour étrangers et ne se remettra jamais vraiment de cet épisode qui le marginalisera et le mettra au ban de la société. Stanisa Milenovic, lui, n’a pas eu la même «chance». Résident depuis 1964 à Brezice, une petite ville de l’est de la Slovénie proche de la Croatie voisine, ce mécanicien de l’armée a été expulsé en l’espace de 24 heures vers la Serbie où il est né en 1946, laissant derrière lui femme et enfants. Grâce à l’acharnement de son épouse, d’un médiateur et d’Amnesty International, Stanisa retrouvera les siens en 1999. «Cela a duré six ans quatre mois et quatre jours, ressasse-t-il avec tristesse, assis dans une taverne près du parc Tivoli à Ljubljana où je le rencontre. Quand j’arrivais à voir ma famille, c’était bref et parfois seulement depuis l’autre côté de la frontière d’un pays voisin. Mes enfants me suppliaient de rentrer avec eux; ils me disaient qu’ils allaient me cacher et me protéger, mais ce n’était pas possible.» Et d’ajouter, désabusé: «Aujourd’hui, je veux juste qu’on me laisse vivre en paix avec les miens.» 

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