La fin du mo(n)de nomade? (2/4)

Peuple de pasteurs nomades, les Somalilandais sont parmi les premières victimes du réchauffement climatique qui décime leur bétail et les force à rejoindre les villes. Les solutions existent, mais quand l’aide arrive il est souvent déjà trop tard. Ce récit en quatre parties a été récompensé en 2017 par le prix Immigration Journalism de la French-American Foundation et en 2018 par le prix du concours Eco-reportages organisé par le Club de la presse de la Drôme.

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Moga, 55 ans, est négociant. C’est lui qui trouve un accord avec un acheteur au nom du pasteur qui lui demande. Avant, il exportait les animaux vers les pays du Golfe.© Adrienne Surprenant

Il a fallu une foi aveugle à Abraham pour se plier à la volonté de Dieu et accepter de lui sacrifier son fils. Sa conviction l’a récompensé. L’archange Gabriel l’a interrompu au dernier moment pour remplacer la gorge de son rejeton par celle d’un bélier sur le mont Moriah. Dimanche 10 septembre 2016, en ce jour de l’Aïd el-Adha où les musulmans célèbrent le geste d’Abraham en sacrifiant un mouton, il a fallu de l’abnégation à Igal Abdullah pour avaler la distance qui sépare son hameau de Foronimi de la ville d’Hargeisa. Un long périple afin de vendre les sept moutons que la sécheresse lui a épargnés. Arrivé à l’aube au marché de bétail de la capitale du Somaliland, ce pasteur au grand corps fin et noueux ignore encore si son effort sera récompensé. Mais plus que la croyance, c’est la faim qui l’a poussé sur les routes. Cela fait plusieurs années que le ciel punit les bergers nomades du Somaliland, sans qu’ils n’aient encore compris ce que Dieu attend d’eux pour mettre un terme à leurs souffrances. Chaque année, le Gu, la pluie saisonnière de mai à juin, se fait plus discret et le Karen, les averses d’août à mi-septembre, est également moins généreux. L’an dernier, la sécheresse a été impitoyable. Le fléau qui s’est abattu sur le troupeau d’Igal a été plus meurtrier que jamais: «Sur mes 110 têtes de bétail, seuls ces moutons ont survécu», explique-t-il avec fatalisme. A ses grands pieds martyrisés par la route, sept moutons de Somalie à tête noire, restes de sa richesse passée.

Depuis deux ans, il ne pleut plus dans l’Etat autoproclamé du Somaliland. Selon le ministère de l’Agriculture, 50% des récoltes ont été perdues la première année de la sécheresse, 98% la deuxième. Le mal qui s’abat sur la Corne de l’Afrique est une hydre à deux têtes, plus dure à combattre que les épizooties qui déciment fréquemment le bétail. D’un côté, le réchauffement climatique a fait de l’année 2014 la plus chaude jamais enregistrée. Un record battu depuis par 2015. De l’autre, El Niño, un phénomène climatique cyclique qui provient du réchauffement des eaux de surface de l’océan Pacifique, a provoqué un dérèglement climatique dans les régions tropicales. Les deux monstres s’alimentent mutuellement: le réchauffement de la mer accroît le risque qu’El Niño déploie ses effets avec plus de virulence, lequel réchauffe en retour le climat. Les climatologues anticipent le désastre depuis longtemps.

En 2014, le rapport du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) alertait: «Le changement climatique va amplifier les risques existants et en créer de nouveaux pour les systèmes humains et naturels. Les risques sont répartis de manière inégale et sont en général plus grands pour les personnes et les communautés désavantagées.» Et de préciser: «Le changement climatique va augmenter les déplacements forcés.» Une prophétie qui s’est concrétisée pour les nomades du Somaliland, poussés désormais à la sédentarisation forcée dans les villes une fois leur cheptel décimé. Pas moins de 80% des bovins, 60% des ovins et caprins et 20% des chameaux ont péri dans les zones affectées, selon le gouvernement somalilandais.

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