Corps en guerre: les viols collectifs (3/4)

Dans l'îlot de stabilité encerclé de pays en guerre qu'est le Somaliland, une violence insidieuse persiste en toute impunité contre le corps silencieux des femmes. Peu à peu, les victimes parlent et réclament justice. Ce récit en quatre parties a été récompensé en 2017 par le prix Immigration Journalism de la French-American Foundation et en 2018 par le premier prix du concours Eco-reportages organisé par le Club de la presse de la Drôme.

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Amina a été violée à 17 ans et est tombée enceinte. Aujourd'hui, elle cherche à se rendre en Europe.© Adrienne Surprenant

Au commencement, il y a la peur. Ce poison qui monte à la gorge d’Enjovo*, emmitouflée dans son tchador, et l’enserre dans une membrane de silence: «Si je fais un procès, le problème va s’étendre aux familles et ça va aggraver davantage la situation», soupire la jeune femme de 24 ans, trop effrayée à l’idée d’ébruiter son malheur. En 2015, à la tombée du jour, Enjovo a été violée par quatre hommes dans la ville de Burao, alors qu’elle allait acheter des provisions pour son poupon, né d’un amour éphémère avec un Ethiopien. Quand ses cris finissent par ameuter le voisinage, il est trop tard, le forfait est consommé, les malfaiteurs évaporés. La police ne les a jamais retrouvés et, si elle y parvient un jour, Enjovo a déjà pris sa décision. «Plutôt que de les poursuivre en justice, je leur pardonnerai. Je préfère oublier ce qui s’est passé», se résigne-t-elle en replaçant le marmot qu’elle élève seule sur ses genoux. Oublier et se terrer dans le centre d’accueil de l’organisation Action de femmes pour la promotion et le progrès (Waapo) où elle vit depuis 2016, c’est la seule défense qui reste à son organisme doublement meurtri, d’abord par le reniement de sa famille pour avoir eu un enfant hors mariage, puis par ce viol collectif en pleine rue.

Au Somaliland, chaque nouveau mois de l’année apporte son lot de femmes abusées par un ou plusieurs hommes, et chaque fois, l’avocate Deika Hassan Ahmed les incite à emprunter la voie ardue, mais nécessaire, de la justice pénale. «Ce mois-ci, je travaille déjà sur quatre cas différents. Les victimes ont entre douze et quatorze ans», énumère en cette mi-septembre 2016 la spécialiste des violences de genre au sein de l’ONG Réhabilitation complète et communautaire au Somaliland (CCBRS). Dans cet Etat autoproclamé, qui place ses espoirs de développement futur sur la reconnaissance de son indépendance par la communauté internationale, il n’est pas rare d’entendre les hommes claironner que leur société est la quintessence de la sécurité et de la liberté de mouvement. Ici, pas d’attentats ni d’enlèvements comme en Somalie, pas de répression brutale comme en Ethiopie ni de guerre comme au Yémen. «Le problème avec ces comparaisons, c’est que, vu la situation lugubre des droits de l’homme dans la région, elles mettent la barre extrêmement bas. Objectivement, le respect des droits de l’homme au Somaliland est limité et fragile», observe le rapport Otages de la paix d’Human Rights Watch en 2009. Un constat encore plus cruel en ce qui concerne le droit des femmes au sein de ce pays ancré dans des valeurs religieuses et coutumières, où la femme n’est pas un sujet de droit, tout au plus une commodité.

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