Lune de miel à Tel Aviv (1/4)

© Ted Eytan
Deux hommes s'embrassent devant la fontaine du Dizengoff Square de Tel Aviv sous le regard d'un autre couple, 2016.

Dans Mirage gay à Tel Aviv, Jean Stern met en lumière la stratégie élaborée par Israël autour de la communauté gay pour redorer le blason de l'Etat. Voici le premier chapitre de cette enquête, Lune de miel à Tel Aviv.

29 mai 2013. La fable est fleur bleue, met l’amour et la dignité à l’honneur. Vincent Autin, 40 ans, et Bruno Boileau, 30 ans, forment le premier couple d’homosexuels à se marier en France, huit jours après la proclamation de la loi Taubira ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Epatant! Un couple sérieux, ni trop jeune ni trop vieux, ni trop sexy ni trop moche, classe moyenne, de couleur blanche, l’un fonctionnaire, l’autre président de la Lesbian Gay Pride de Montpellier. Des militants, certes, mais pas des excités. Deux hommes raisonnables, donc bons clients pour les médias. Devant les caméras des chaînes d’information en continu, la maire de Montpellier, Hélène Mandroux, recueille leur consentement en présence de centaines de personnes dont Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement Ayrault sous la présidence Hollande.

A quelques milliers de kilomètres, Mira Marcus, conseillère presse de Ron Huldai, le maire de Tel Aviv, découvre les images de la noce à la télévision. Experte en marketing politique, elle flaire un joli coup et songe à convier les mariés de Montpellier en lune de miel à Tel Aviv, où doit se tenir la semaine suivante la Parade gay. Ancien général de l’armée de l’air, maire travailliste depuis 1998, Ron Huldai va mettre en musique cette idée qui emballe son staff. «Dès le lendemain de notre mariage, raconte Vincent Boileau-Antin, le maire téléphone en personne pour nous inviter.» Cela ne manque pas de culot de la part de l’édile d’un pays n’autorisant ni le mariage homosexuel ni même le mariage civil. 

Vincent et Bruno Boileau-Autin, qui n’ont jamais mis les pieds en Israël ou en Palestine, se font un plaisir d’accepter. «Nous assumons notre choix de visibilité. Le maire offrait l’avion et l’hôtel, ajoute-t-il. Le lendemain, Christophe Bigot, l’ambassadeur de France, téléphone à son tour pour proposer de nous loger dans sa résidence de Jaffa.» Huit jours plus tard, avec le maire et l’ambassadeur comme hôtes, la lune de miel prend la forme d’un voyage officiel. Entre la parade, la conférence de presse, une sortie en boîte, le cocktail au champagne (évidemment rosé) donné en leur honneur par Ron Huldai, le temps passe très vite. Vincent et Bruno Boileau-Antin ont refusé, au cours des nombreuses interviews accordées pendant leur séjour, de se prononcer sur la politique israélienne. «Ni Bruno ni moi, on va se prétendre experts en trois jours. On aurait bien voulu rencontrer des gays palestiniens, mais on n’a pas eu le temps d’établir des contacts. Nous sommes des militants LGBT, et c’est ce qui a motivé notre voyage.» De belles images du bonheur des époux sont publiées par les médias grand public et gays du monde entier. Même Le Figaro, porte-voix acharné des opposants à la loi Taubira, consacre un gentil article à cette escapade, agrémenté d’un diaporama souriant sur son site. 

A peu de frais, Tel Aviv s’affiche sympathique pour les gays et romantique pour le monde entier. Qui dénoncera une lune de miel? L’objectif, déconnecter le contexte gay de Tel Aviv de la situation générale en Israël et en Palestine, est atteint à 100%. Les époux méritaient bien le titre d’ambassadeurs d’honneur du gay Tel Aviv que leur décerne Ron Huldai.

La suite de cette histoire est payante.

Abonnez-vous

Et profitez d'un accès illimité au site pour seulement 7.-/mois.

Je profite → Déjà abonné? Connectez-vous.

Achetez cet article

Nouveau: dès 0.50 CHF, payez votre histoire le prix que vous voulez!

Je me connecte → Paiement rapide et sécurisé avec Stripe