La Suisse, nid d'espions (1/9)

© Juliette Léveillé
Les Services secrets suisses envoyaient régulièrement des agents en France et en Allemagne afin d'observer les mouvements des troupes du IIIe Reich.

Dès 1939, les Services de renseignement, surtout allemands et français, envoient leurs agents en Suisse. Là aussi, ils ont du pain sur la planche. Début de notre saga historique sur la guerre d'Albert Meyer...

Berne, juillet 1940. Quelques jours après l’armistice, Albert Meyer fut pris d’une véritable frénésie vélocipédique qui lui fit parcourir la France de long en large, de Belfort à Saint-Jean-de-Luz, de Perpignan à Paris en passant par Saint-Malo. Il poursuivait son idée fixe: rejoindre Londres et continuer le combat. En quelques semaines, il passa du camp d’Argelès-sur-Mer, où il avait été interné avec des camarades de l’Ecole de l’air, à un bordel marseillais de la rue de la Reynarde, entraîné par l’un de ses compagnons d’évasion, le chauffeur du gangster marseillais Carbone. On le signale à Bordeaux et de l’autre côté des Pyrénées, on le voit arpenter les plages bretonnes, toujours animé du fol espoir de passer en Angleterre. Tous ses efforts s’étant révélés inutiles, il retourna dans sa famille, à Belfort, d’où il pensait gagner la Suisse neutre et, là, établir le contact avec les Français libres de Londres. Mais n’entre pas clandestinement en Suisse qui veut, surtout en temps de guerre. S’il voulait y mettre un pied, il lui fallait un «protecteur». Une amie de la famille, Marie-Louise Chatel, frontalière, lui présenta Denys Surdez, officier de renseignement à l’état-major de l’armée helvétique, chargé de contrôler la frontière jurassienne, qui laissait entrer qui bon lui semblait. En voyant Meyer, l’homme fut séduit par son intelligence «peu commune» et lui proposa un marché. Contre le droit de passage, de l’argent et des contacts à Genève, Meyer deviendrait son honorable correspondant. Comment refuser? Le jeune homme partit aussitôt pour Genève, où il se fit éconduire poliment par le représentant du Secret Intelligence Service (SIS, Service de renseignement extérieur du Royaume-Uni) au consulat britannique avant de rencontrer le Service de renseignement français. Le chef de l’antenne genevoise, le lieutenant Nappey, le dirigea sur Berne, où le consulat français occupait les deux étages d’une imposante villa, dans la Sulgerheim Strasse.

Chargé de filtrer les rendez-vous du responsable de l’antenne suisse du Service de renseignement français, le consul général Martin le reçut. Lorsque Meyer lui révéla son intention de rejoindre Londres, Martin le jugea «parfaitement anormal», mais «dans le bon sens du terme». Quand Meyer sonne au premier étage du consulat, entièrement occupé par le SR (Service de renseignement), c’est à sa grande surprise une vieille connaissance, Camille Deleau, secrétaire du chef du SR, qui lui ouvre la porte. Affublé d’épaisses lunettes à monture d’écaille, le crâne dégarni entouré d’une couronne de cheveux blancs, son air hagard achevait de lui donner des allures de professeur Nimbus que démentait une remarquable vivacité d’esprit. Professeur de latin-grec à l’Institution Sainte-Marie de Belfort, il avait eu Meyer pour élève. Que faisait-il là? Polyglotte émérite, Camille Deleau avait aussi enseigné l’italien à Gaston Pourchot, qui l’avait appelé à l’accompagner lors de sa nomination à Berne en 1940. Ce dernier faisait partie de ces responsables des services de renseignement militaire qui, tels le commandant Paillole, les colonels Rivet ou Villeneuve, n’avaient pas accepté de déposer les armes en 1940 et continuaient la guerre de l’ombre. Héros de la «Grande Guerre», Gaston Pourchot fut de 1928 à 1939 adjoint au chef du poste SR guerre de l’armée de terre de Belfort, fer-de-lance des SR militaires français dans la recherche de renseignements sur l’Allemagne. Le contre-espionnage allemand le repéra plusieurs fois lors de ses innombrables missions en Allemagne et en Europe centrale. Accusé d’espionnage, Pourchot fut condamné sous divers noms d’emprunt et par contumace à plusieurs années de prison par le Tribunal d’Empire de Leipzig. Depuis 1939, les nom, prénom, grade et qualités de l’agent secret français figuraient en toutes lettres sur le Deutsche Fahndungsregister (registre de recherche allemand), le répertoire des personnes à arrêter dès leur entrée en territoire allemand.

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