La Suisse, nid d'espions (6/9)

Pendant que les Allemands construisent le mur de l’Atlantique, les Services secrets alliés s’interrogent sur leur ordre de bataille dans la zone choisie pour le débarquement. L’agent du Service de renseignement français à Berne, Albert Meyer, file vers Paris à la pêche aux informations.

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© Juliette Léveillé

Paris lui procure une émotion toujours renouvelée. Dans l’un de ses premiers comptes rendus de mission, l'espion Albert Meyer ne put s’empêcher de faire part de ses états d’âme à son supérieur: «21 heures. Le béret d’étudiant, la serviette sous le bras, je me laisse nonchalamment bercer sur la ligne la plus fréquentée des métros parisiens. Là, Paris est restée ce qu’elle était. A quelque vingt mètres sous terre, l’on rencontrait un peu du Paris d’autrefois, tout de lumière et de foule, si ce n’était la présence de militaires allemands qui se pressaient aux spectacles, les plus audacieux se sont trouvés la compagne d’un soir, les blondes Gretchen sont loin, l’or, comme nous le verrons en maintes autres occasions, est roi depuis l’occupation. Certes, le soldat allemand est correct mais il ne peut s’empêcher d’étaler publiquement son exubérance, de s’empresser autour des “mademoiselles”, au refrain de schnell ou langsam Paris. Combien de fois l’ai-je entendu ce langsam Paris, que ces deux mots grandissent encore dans leur imagination le jour où sur quelques plages normandes, dans quelques ports d’invasion, ils penseront au Paris, à la France tout entière qu’ils ont découverte et à l’Allemagne qu’ils retrouveront […] Rares sont les troupes portant leur numéro d’unité. J’ai toutefois remarqué le 60A d’infanterie, de nombreux éléments de la Luftwaffe (armée de l’air, ndlr) affectés au Bourget où des ouvriers français travaillent fébrilement à la construction de hangars souterrains […] Aux Invalides, j’y pénétrerai en fraude. Pour celui d’entre nous qui se rappellera le sentiment qui nous étreignait, l’ambiance de recueillement, de vénération dont nous entourions le tombeau de l’Empereur, il sera dur d’accepter la réalité. Par les portes grandes ouvertes sous les voûtes sacrées résonnera étrangement le pas saccadé des premiers soldats allemands bottés. Des journées durant, de grands cars les déferlaient à la chaîne. Dans l’enceinte du mausolée, ils n’abandonneront pas leur rigidité, leur esprit de troupeau, leur cerveau entraîné mécaniquement à penser, à voir, à écouter uniformément. Pas plus qu’à la cathédrale de Strasbourg, ils n’auront le sens de la profanation. Souriants, songeurs, ils repartiront, le musée visité. Les plus impressionnés, juxtaposant sans doute le Führer et l’Empereur, se figeront en un garde-à-vous impeccable pour saluer à la nazie. J’ai prié l’Empereur avec ferveur. J’ai rêvé à demi ébloui, sur le parterre de la crypte: Iena, Wagram, Austerlitz sont épars en lettres d’or.»

A Paris, le jeune Meyer dispose de plusieurs points de chute. Le plus souvent, il loge à Garches, dans le petit pavillon de sa cousine Marcelle Meyer, vieux soldat dans l’âme. A deux pas de l’hippodrome de Saint-Cloud, la demeure lui servait de quartier général en région parisienne. Il lui arrive même d’y entreposer des valises de grenades ramassées au détour d’une mission. Au 116 de la rue de la Convention vit l’un des oncles d’Albert Meyer, un ancien combattant de la guerre de 14-18, tout comme son voisin du dessous, M. Lévy, qui, en raison de son passé glorieux, avait droit à un traitement de faveur, si l’on peut dire, mais devait néanmoins porter l’étoile jaune. A chacune de ses visites, son oncle faisait monter les Lévy en espérant que les histoires que leur raconterait Meyer ne manqueraient pas de leur remonter le moral. Si le jeune Meyer recherchait la compagnie des anciens combattants de 14-18, c’était autant par plaisir que par devoir. Parmi les anciens poilus qui, comme ils disaient, avaient «bouffé du boche toute leur vie», il recruta une bonne vingtaine d’agents. Au début, intimidé par ses glorieux aînés, il redoutait de ne pas être pris au sérieux: il n’avait pas vingt ans et l’air plus jeune encore. Mais son patronyme contribuait beaucoup à lui ouvrir toutes les portes. Le directeur du réseau de l’est de la SNCF, M. Antoine, avait en effet été très proche du père d’Albert Meyer. Au nom de cette vieille amitié autant que par esprit patriotique, il communiquait régulièrement à l’agent secret les plans des mouvements de troupes allemandes par voies ferrées. A chacun de ses passages à Paris, Albert Meyer allait dans les bureaux de M. Antoine, au premier étage d’un immeuble sale et vieillot de la rue d’Alsace, pour en ressortir les poches bourrées de documents. De plus, ayant fait toute sa scolarité à l’Institut Sainte-Marie de Belfort, Meyer avait conservé d’excellentes relations avec son directeur, l’abbé Macker, lequel en toute connaissance de cause avait prié tous les responsables maristes de France et de Navarre de lui réserver le meilleur accueil s’il venait à frapper à leur porte. De Cannes à Charleroi et de Besançon à Paris, Meyer pouvait partout compter sur le gîte et le couvert, évitant ainsi les hôtels et les restaurants constamment exposés aux rafles et aux contrôles. Lors de chacun de ses séjours parisiens, il passait par l’Institut de la rue Monceau. Parfois, quand il ne voulait pas faire le trajet de Garches, il y restait la nuit.

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