La Suisse, nid d'espions (9/9)

© Juliette Léveillé
«Allons, Albert Meyer, on sait qui tu es. Ça fait quatre ans qu’on te court après. On sait tout sur toi.»

Enfermé dans une maison de Belfort, Albert Meyer gère une bande de cinq espionnes. Rien de ce qui se passe dans les villages alentour ne leur échappe. Mais ce travail de réseau devient de plus en plus dangereux.

L’enfermement commençait à lui porter sur les nerfs. Il fallait tout le temps se tenir occupé, «renseigner» les cartes d’état-major, mettre ses notes à jour, étudier les moindres détails des photos des forts de la ville. Moins rompue aux strictes règles de la clandestinité que lui, Pierrette Ratti endurait l’épreuve avec plus de difficultés encore. Albert Meyer la laissait sortir de temps à autre, non sans l’avoir accablée de recommandations. La première alerte survint le 10 octobre. Pierrette Ratti était partie dans sa famille, respectant scrupuleusement les règles de sécurité dictées par son chef. Elle ne pouvait pourtant s’empêcher d’éprouver un curieux pressentiment. Elle avait l’impression d’avoir été repérée et suivie. Peut-être était-elle victime de ses nerfs, éprouvés par près d’un mois de claustration? En tout cas, Meyer se promit de redoubler de précautions. Le 16 octobre, il se trouve à la fenêtre de la cuisine qui donne sur l’arrière-cour quand il aperçoit une silhouette familière. Cette figure taillée en lame de couteau, ces yeux bleus, ce regard illuminé, ces cheveux ras, il ne les connaît que trop. Ce sont ceux d’André Leandry, la seule personne qu’il n’aurait jamais dû rencontrer. André Leandry n’était pas à proprement parler un ami d’enfance d’Albert Meyer même s’il l’avait côtoyé dans les classes de l’Ecole Sainte-Marie de Belfort. Leur première vraie rencontre remontait au début de la guerre, au moment où, de retour, Albert Meyer cherchait à infiltrer un mouvement collaborationniste. André Leandry ne lui avait pas fait trop mauvaise impression, quoique le côté intolérant et passionné du personnage lui eût déplu, mais il donnait l’impression de vouloir en découdre avec l’ennemi. Meyer n’ayant pas donné suite, l’affaire en était restée là. Par la suite, Meyer apprit que Leandry se livrait à divers trafics liés au marché noir. Il semble qu’après avoir fait diverses affaires illicites avec les Allemands, la Gestapo l’ait recruté. Trafiquant par goût, puis collaborateur par nécessité: un schéma classique. Les nazis avaient certainement demandé à Leandry des informations sur Meyer. Peut-être était-ce la raison pour laquelle il traînait dans le quartier. Meyer se dit qu’il avait dû voir Pierrette Ratti se diriger vers le 21 de la rue Gerbevillers et qu’il l’avait suivie jusqu’à l’arrière-cour. Voilà pourquoi il revenait rôder dans les parages. Que faire? Reculer? Disparaître? S’enfuir? Il n’en était pas question: s’il battait en retraite, il n’avait plus qu’à faire ses valises en vitesse. Et où pouvait-il aller? Il sourit et fit un grand signe au visiteur importun.
– J’arrive.

En descendant l’escalier, il n’en menait pas large. Quand il ouvrit la porte, son visage était rayonnant. Il fit entrer Leandry:
– Tu ne peux pas savoir ce que je suis content de te voir!
– Qu’est-ce que tu fais là? Tout le monde te croit en Suisse.
– Je suis en mission secrète. J’ai été envoyé par le SR (Service de renseignement) de Berne. Je dois dresser l’ordre de bataille allemand dans toute la région. Je n’y arrive pas. J’ai besoin de trouver des agents.

Puis après l’avoir regardé longuement:
– Pourquoi ne travaillerais-tu pas pour moi?

Comme Meyer s’y attendait, Leandry accepta avec empressement. Désormais, il allait devoir jouer serré. D’abord, il lui fallait occuper son homme. Il lui confia une mission de reconnaissance en Basse-Alsace, insistant lourdement sur son importance. En fait, il ne s’agissait que de recouper des informations qu’il possédait déjà. Quatre jours plus tard, Leandry revenait triomphant: il avait soi-disant repéré un corps d’armée du côté de Gerbevillers. Tout travail méritant salaire, il lui remit 3’000 francs. C’était la première fois qu’il payait un renseignement depuis le début de la guerre. «Les trente deniers de Judas», se dit Meyer. Leandry empocha la somme sans mot dire. Meyer le félicita, lui affirmant que son rapport serait transmis sur-le-champ à l’état-major de la 1ʳᵉ armée. Bien sûr, il n’en fit rien, ces informations étaient trop improbables pour leur accorder le moindre crédit. En revanche, il envoya un message à Pourchot et à Simoneau pour les avertir de la présence de Leandry, de son double jeu et leur demander des instructions. En attendant la réponse du SRO (Service de renseignement opérationnel) de la 1ʳᵉ armée, il renvoya Leandry accomplir une mission tout aussi inutile que la précédente.

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