Theo Padnos: «Je pensais connaître le monde arabe» (1/4)

En octobre 2012, Theo Padnos a été kidnappé par des hommes du Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda. Il a été libéré au bout de deux ans de tortures physiques et psychiques. Voici le récit poignant de sa captivité.

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Portrait de Theo Padnos, journaliste américain.© Andrea Modica / The New York Times Syndicate/ Redux

Aux premières heures du 3 juillet 2014, l’un des deux chefs de la section syrienne d’Al-Qaïda m’a convoqué auprès de lui. On m’a fait sortir de ma cellule. Depuis près de deux ans, il me retenait prisonnier dans des geôles de fortune. Cette nuit-là, on m’a conduit hors de la salle de classe dans laquelle j’étais détenu, aux abords de la ville de Deir al-Zour, jusqu’à un carrefour dans le désert, à cinq minutes de route. Lorsque nous sommes arrivés, le chef est descendu de son Land Cruiser. Debout dans les ténèbres, entouré par ses hommes armés de kalachnikovs, il souriait. «Sais-tu qui je suis?» m’a-t-il demandé. «Bien sûr», ai-je répondu.

Je le connaissais tout d’abord parce qu’il m’avait une fois rendu visite dans ma cellule, environ huit mois plus tôt, pour me sermonner à propos des crimes que l’Occident avait commis contre l’islam. Mais je le connaissais également de réputation. En tant que chef du Front al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, je savais qu’il avait la main sur le trésor et décidait des bâtiments qui devaient être réduits en miettes et des points de contrôle qu’il fallait attaquer.

Je savais aussi qu’il était celui qui décidait quels prisonniers seraient exécutés, et lesquels seraient relâchés. Il voulait s’assurer que je connaissais son nom. C’était le cas, et je le répétais pour lui: Abu Mariya al-Qahtani. «Vous êtes l’Erudit», ai-je ajouté, usant du terme sheikhna, ainsi que l’appelaient ses soldats. «Bien, a-t-il dit. Sais-tu que nous sommes encerclés par l’Etat islamique?» Je l’ignorais. Il a haussé les épaules. «Pas de quoi s’inquiéter. Ils ne m’auront pas. Et ils ne t’auront pas non plus. Partout où je vais, tu vas. Compris?» J’ai acquiescé. Nous avons conduit jusqu’à un quartier résidentiel situé près d’un gisement pétrolier, sur les bords de l’Euphrate. Et durant le reste de la nuit, j’ai pu observer deux cents soldats et quelque vingt ou vingt-cinq vétérans du djihad afghan se préparer au voyage. Des sacs remplis de livres syriennes étaient fourrés dans les Toyota Hilux, on chargeait des caisses entières de rations dérobées aux militaires américains à l’arrière des camions, ainsi que des valises et des glacières casées à côté d’elles. Il fallait aussi s’occuper de tout l’arsenal: les mortiers, les roquettes, les mitrailleuses, les grenades, les munitions, les ceintures d’explosifs…

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